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Le cinéma de Pat Collins
January 2020

Pat Collins est une figure atypique du cinéma irlandais, bien qu’il soit impossible de l’imaginer sortir d’aucun autre contexte national. Le cinéma de l’Ile d’Émeraude a connu une sorte de renaissance dans les années 1990, avec des réalisateurs comme Neil Jordan (The Crying Game, Michael Collins) et Jim Sheridan (My Left Foot, In the Name of the Father, The Boxer) qui ont conquis un large public hors d’Irlande, si l’on peut dire, pour la première fois dans l’histoire du pays. À l’instar du cinéma australien des années 1970 ou la littérature latino-américaine des années 1960, cette véritable première vague de longs métrages irlandais semblait être des produits parfaitement adaptés à la mondialisation : totalement exportables vers différents milieux mais en même temps possédant suffisamment de spécificités culturelles pour faire d’eux des objets exotiques et authentiquement nouveaux. Mais comme en Amérique latine, cette soudaine visibilité mondiale a eu pour effet de masquer une tradition de production culturelle locale plus ancienne, dont l’histoire sociale et politique était alors complexe. Le cinéma irlandais n’a pas émergé de nulle part dans les années 1990 ; les efforts déployés pour construire les bases d’un cinéma local datent au moins des années 1940 et ont souvent été définis par le soutien de l’État et le cinéma documentaire (en un sens, cela peut sembler familier aux personnes qui connaissent l’histoire du cinéma québécois). Ce contexte irlandais spécifique, conjuguant documentaire et retard de développement, est essentiel pour comprendre le travail de Pat Collins. Nombre de ces films des années 1990 (et des années 2000), qui ont circulé mondialement, se présentaient génériquement comme irlandais; c’est-à-dire plus ou moins urbains, avec parfois un soupçon de misère rurale ou de violence nord-irlandaise. Le fait de prétendre avoir un tel statut composite est une affliction totalement typique de la culture dublinoise et dissimule les importantes variations régionales de la vie irlandaise. Ainsi, savoir que Collins est un Corcagien (homme du comté de Cork), soit quelqu’un de l’extrême sud-ouest de l’Irlande, est aussi crucial que de connaître le contexte national si l’on veut comprendre son travail. Malgré sa très forte sensibilité régionaliste, mais aussi peut-être à cause d’elle, Collins est également un véritable cinéaste mondial. Il s’agit là d’une toute autre forme de mondialisation que celle que nous avons évoquée brièvement précédemment, en citant Neil Jordan, l’Amérique latine et l’Australie. Quelqu’un de bien moins indulgent que ce que nous sommes ici, pourrait être tenté de suggérer que ces films risquent la confusion entre « mondialisé » et « très apprécié des Américains ». Cependant, la pratique de Collins porte la trace de certains des aspects les plus importants du cinéma mondial de l’après 1960, quelque chose qui se voit très clairement dans sa connexion avec Abbas Kiarostami.