Mémoires d'un fleuve
La jeunesse de la cinéaste hongroise Judit Elek a été profondément marquée par les événements du XXe siècle (l’enfance dans un ghetto pendant l’Holocauste, l’insurrection de Budapest en 1956 et, plus tard, les événements de 1968). Ce lien intime à l’Histoire est indissociable du cinéma qu’elle a créé. S’emparant de façon pionnière des techniques du cinéma direct dans la première partie de son œuvre, elle n’a jamais cessé – même dans la fiction – de scruter frontalement le réel, tout en lui insufflant une dimension poétique et en revendiquant une liberté de regard. Questionnant inlassablement les tensions sociales et les traumatismes historiques, ses films font preuve d’une attention particulière pour la complexité des interactions humaines et les émois solitaires des individus.
Lauréat du Prix du jury œcuménique, Festival des films du monde de Montréal 1989
Dans un modeste village rusyn, où la plupart des habitants gagnent leur vie comme ouvriers forestiers, les hommes se préparent à un nouveau voyage. Les femmes peinent à les laisser partir, comme si elles pressentaient ce qui les attend. En descendant la rivière Tisza, ils tombent sur le corps d'Eszter Solymosi, et se retrouvent ainsi piégés dans le tristement célèbre procès de Tiszaeszlár. Après La fête de Maria et son téléfilm sur Ignác Martinovics, Judit Elek s'attaque à nouveau à un sujet historique. Après avoir examiné les notes du dossier, elle décide de réaliser un film sur le célèbre procès-spectacle de Tiszaeszlár du point de vue des bûcherons accusés d'avoir fait passer des cadavres en fraude.

Judit Elek
Judit Elek, née en 1937 à Budapest, est une réalisatrice et scénariste hongroise. Diplômée de l'École supérieure d'art dramatique et cinématographique de Budapest, elle se révèle comme une des pionnières les plus importantes du cinéma direct, une approche inspirée du documentaire qu'elle a d'abord expérimenté au studio Béla Balázs, puis à Istenmezeje. Sa première expérience de cinéma direct date de 1963 avec Rencontre (Találkozás). À travers ses premières réalisations, elle conçoit le cinéma direct « comme un mode d'expression spécifique, susceptible d'appréhender la réalité des êtres et des choses avec une profondeur que ne peut atteindre le cinéma traditionnel, en Hongrie, alors en pleine mutation. » Son premier long métrage de fiction, La dame de Constantinople (Sziget a szárazföldön), est sorti en 1969. Il s’agit d’un portrait d'une vieille dame seule obligée de se séparer d'un appartement trop coûteux. Après la réalisation d'Une simple histoire (Egyszerű történet) en 1975, elle abandonne l'expérience de cinéma direct parce qu'elle estime en avoir épuisé les potentialités, mais surtout par scrupule, car l'intrusion de la caméra dans la vie de ceux qu'elle filme peut, à la fin, les mettre en danger. En 1984, elle tourne La fête de Maria (Mária-nap) qui est une vibrante interrogation sur un des grands noms de l'histoire hongroise, le poète et patriote Sándor Petőfi. Le film est présenté dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes. Elle fait l'objet d'une rétrospective à la Cinémathèque française en 2024.

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Judit Elek, les fantômes et les éveillés
À partir des années 1960, Judit Elek a constitué une œuvre à la fois rigoureuse et délicate, qui s’est imposée comme l’une des plus remarquables du cinéma hongrois de son temps (aux côtés de Szabó, Jancsó ou Mészáros), et que les restaurations récentes de l’Institut national du film de Hongrie permettent de redécouvrir dans les meilleures dispositions possibles.