Cinéaste démiurge, créateur d'un univers cinématographique abolissant la frontière entre imaginaire et réalité, Federico Fellini est l'auteur d'une œuvre centrée sur le processus créatif et l'observation onirique de la société italienne des années 1950 aux années 1980.
Dans son premier film solo, Le cheik blanc (1951), Fellini ébauche sa poétique, avec la figure de l'ingénue qui enchante le monde. Ce film marque le début de fidèles collaborations, en particulier avec le compositeur Nino Rota qui devient son musicien attitré. En 1953, dans Les Vitelloni, Fellini évoque sa ville natale à travers le portrait de cinq jeunes oisifs englués dans la médiocrité provinciale. La trilogie formée par La strada (1954), Il bidone (1955) et Les nuits de Cabiria (1956) met au premier plan son épouse Giulietta Masina, sa grande inspiratrice, et interroge la crise morale d'une société fondée sur les valeurs matérielles. La Gelsomina de La strada est un personnage lunaire dont l'innocence et la bonté ébranlent la cruauté du monde. Il bidone, avec ses trois misérables escrocs, est une réflexion sur la tromperie et la peur de l'avenir. Quant aux Nuits de Cabiria, il met en scène une petite prostituée romaine en mal d'amour dupée par les hommes, mais qui continue à porter un regard émerveillé sur la vie. La construction narrative fragmentée de ce film, qui sera une des signatures stylistiques de Fellini, trouve avec La dolce vita sa pleine expression. Palme d'or au Festival de Cannes en 1960, le film marque un tournant dans la construction du baroque fellinien : mêlant le réel et l'imaginaire, il consomme la rupture avec le néoréalisme pour explorer un état d'âme intérieur, à travers les pérégrinations mondaines d'un jeune journaliste chroniqueur dans un journal à sensations, Marcello Mastroianni, le double par excellence de Fellini.
Huit et demi (1962) propose une réflexion sur la création artistique, à travers l'expérience d'un cinéaste en mal d'inspiration qui fait de ses angoisses le matériau de son oeuvre. Juliette des esprits (1964) est le portrait d'une bourgeoise italienne délaissée par son mari, et qui étouffe sous le carcan familial. Sorte de rêve éveillé, le film est un voyage introspectif dans l'enfance et la mythologie familiale.
Mal accueilli par la critique, ce film ouvre pour Fellini une période sombre. Dans Fellini Satyricon 1969, satire sociale inspirée de Pétrone, Fellini recrée une Rome mythique et spectrale. Dans ce film étrange et visionnaire, ponctué de visites dans des mondes hantés par la mort, l'artiste semble avoir projeté son monde intérieur. Danilo Donati, responsable des costumes et des décors, rejoint avec ce film l'équipe de Fellini. Il s'inspirera des dessins et caricatures du cinéaste. En 1967, ayant frôlé la mort à la suite d'un infarctus, le cinéaste commence une réflexion sur le cinéma comme art de la mémoire. A l'orée des années 1970, considéré comme " l'auteur par excellence ", il est très populaire. Avec Fellini Roma (1971), il construit un kaléidoscope de visions mythiques et personnelles : Rome, c'est d'abord le lieu imaginé pendant l'enfance. C'est aussi la ville moderne en constante transformation, sous laquelle gisent les ruines de l'antique cité, prêtes à disparaître. C'est enfin une projection de l'inconscient du cinéaste, ville clandestine invisible livrée aux intérêts politiques et économiques de l'aristocratie et du Vatican. Dans Amarcord (1973), Fellini évoque son adolescence à Rimini, réinventant ses souvenirs en construisant un récit collectif dans lequel les femmes occupent une place centrale et les personnages sont dessinés à gros traits. Tourné à Cinecittà, dans des décors dont il revendique l'artificialité, Fellini y livre quelques idées clés sur la famille, la société, le pouvoir, les illusions et les mythes. Ce film propulse à nouveau le cinéaste au sommet, popularisant le style fellinien, baroque et démesuré, qui se renouvelle avec Casanova (1975). Basé sur les Mémoires de Giacomo Casanova, Fellini transforme le périple de l'aventurier vénitien d'une Cour européenne à l'autre à la fin du XVIIIe siècle en une traversée d'espaces fantomatiques, à la recherche d'un plaisir déshumanisé. Très attendu, le film est pourtant un échec. Le cinéaste tourne en 1978 pour la RAI Répétition d'orchestre, film-enquête et fable politique sur la discipline et le pouvoir de la création, et réflexion sur la quête d'harmonie. C'est là la dernière collaboration de Fellini avec Nino Rota, qui meurt d'un infarctus peu après le tournage. Nouvelle exploration de la féminité, La Cité des femmes (1979), est une parabole sur la guerre des sexes dans laquelle Fellini met en scène les multiples images suscitées par la femme dans son inconscient.
À partir des années 1980, Federico Fellini affronte la crise du cinéma italien face à la concurrence de la télévision, qui devient sa cible favorite. Après Et vogue le navire (1982) relatant le naufrage d'un monde artistique raffiné et décadent face à la brutalité de la politique, il dénonce avec Ginger et Fred (1985) la "berlusconisation" de l'Italie. Le cinéaste rencontre désormais des difficultés à monter ses projets. Intervista (1987), est une oeuvre mélancolique sur la destruction du cinéma par la télévision. Fellini réalise en 1989 son dernier film, La Voce della luna, à Cineccittà, dans les studios qui lui sont si chers. Il revient à son personnage originaire, le candide, le "lunatique" au sens ancien du terme, personnage un peu fou, incarné par Roberto Benigni, vagabond qui communique avec la Lune et part dans une errance qui le conduira à faire d'étranges rencontres. Sept mois après avoir reçu un Oscar d'honneur à Hollywood, Fellini succombe à une attaque cérébrale. Giulietta Masina meurt l'année suivante, en 1994.