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Program3 questions à Félix Dufour-Laperrière

Marco de Blois
October 26th, 2021
3 questions à Félix Dufour-Laperrière

À l’occasion de la sortie sur nos écrans du film Archipel, nous nous sommes entretenus avec Félix Dufour-Laperrière. Archipel prend l’affiche à la Cinémathèque québécoise dès vendredi 29 octobre.

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De quel désir est né votre film ?

C'est né d’une séquence d'expériences. La première s’insère avec cohérence dans notre entretien, car elle s’appuie sur le visionnement de séances à la Cinémathèque québécoise, le travail artisanal qui s'est fait pendant des décennies à l’ONF et la tradition de l'animation indépendante qui s'est développée en parallèle à Montréal et au Québec. La deuxième expérience est aussi liée à la Cinémathèque. C’était lors d’une projection, quand j’étais dans la jeune vingtaine, de Sans soleil dans le cadre de la rétrospective Chris Marker. Ce visionnement a changé mon rapport au cinéma et peut-être aussi au monde. Enfin, l'impulsion la plus récente, c'est le film de Simon Beaulieu sur Gaston Miron, que j'ai adoré et qui m'a profondément bouleversé. On y parle du Québec, de son destin, du peuple à la fois comme entité réelle et comme entité rêvée à l’aide de débats, de passages de film de l’ONF, de documents d'archives et d’extraits de la poésie de Gaston. Je me suis dit que répondre à ce film-là serait un bonheur, mais avec des archives et des documents inventés, puis des mots qui, tout en étant les miens, seraient inventés eux aussi.

À ces sources s’est joint un désir de réintroduire un peu de légèreté, d'immédiateté et d'improvisation dans le processus somme toute assez rationnel et parfois un peu laborieux de la fabrication de l'image animée, particulièrement en ce qui concerne le long métrage. Le plus souvent, le développement d’un tel film est long et doit être bien organisé parce que ça coûte cher. Or, Archipel a été conçu comme un film d'atelier, on avait une équipe triée sur le volet, des gens avec qui j'avais déjà travaillé et pour qui j’ai une grande confiance et beaucoup d'estime. Au départ, la production devait durer un an et demi, mais, à cause de la pandémie, ça a duré deux ans. On fabriquait des images d’après une architecture et un scénario très précis tout en étant très libres. On a beaucoup improvisé, essayé de nouvelles choses. Le film a été écrit et fabriqué dans la joie et son financement a été étonnamment facile – peut-être à cause de sa nature assez atypique et peut-être aussi de son budget modeste.

Bande annonce d'Archipel

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Quelle émotion, quel sentiment voulez-vous que le spectateur retienne après la projection ?

Je crois qu’Archipel va susciter des sentiments paradoxaux : c'est un film qui regarde vers l'avant et qui pense avant tout au Québec de demain, celui qui sera probablement le plus intéressant, et énonce son refus de la nostalgie, des regrets et de la mélancolie. D'un autre côté, la nature même des documents et des archives fait que cette mélancolie et une certaine nostalgie y existent aussi.

De plus, Archipel est traversé d’une affection dans ce qu’elle a de capricieuse, de personnelle, d'intime et de collective. On y trouve aussi de la colère et des tensions. J’espère donc que les gens capteront cette générosité, parce qu'il y en avait dans le groupe qui l'a fabriqué. On y a mis des choses qu'on aime et on en a mis beaucoup. C'est un film assez dense, parfois exigeant, dont j'espère qu'on associera son caractère sinueux et déambulatoire à une grande générosité.

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Il y a quelque chose d'assez particulier dans la facture d’Archipel, et j'aimerais ici faire une comparaison avec Ville Neuve. Ce dernier film présentait un style homogène, le vôtre, de sa première à sa dernière image. Dans Archipel, on assiste à ce qui est peut-être une autre manifestation de cette générosité dont vous parlez, soit l’introduction de signatures graphiques multiples. Vous vous êtes entouré d'une équipe de jeunes réalisateurs et réalisatrices prometteurs et prometteuses et cela donne un film mosaïque qui est peut-être à l’image du territoire que vous voulez décrire. Qu'est-ce qui a motivé ce choix de faire intervenir ces multiples talents lors du tournage du film?

Pour plusieurs séquences, ça a été comme un processus de casting pour du cinéma de prise de vues réelles, c'est-à-dire que je proposais à la bonne personne la séquence que j’avais en tête comme si je proposais un rôle à un acteur. Quelques images de référence, quelques pages de notes et les extraits de scénario devenaient comme une petite machine qui était déposée sur le bureau d'un animateur ou d'une animatrice volontaire sans feuilles de modèle, d’animatique pour l'immense majorité des séquences, ou de scénarimage. On discutait des notes, des images, d’une approche graphique et visuelle, on regardait ensemble comment cela allait se déployer. Évidemment, le scénario imposait certains thèmes et rythmes, mais les membres de l’équipe ont apporté beaucoup de leur propre personnalité d’artiste et je crois que cela est cohérent avec la démarche.

Le film tâche de cerner le territoire réel et concret, de même que quelque chose d’intangible, c’est-à-dire ce qui constitue un chez-soi, un monde, un territoire de désirs, de langue, de mots, de passion secrète et tout ça. C’est un espace collectif, qui relève de la psyché collective, et je crois que l'équipe, talentueuse et généreuse, a injecté beaucoup de sa psyché à elle. Au bout du compte, cela donne un film qui me surprend par moment par ses juxtapositions, même si c'est un texte que j'ai écrit et des images que j'ai proposées. Il y a, dans le film, bien des choses qui appartiennent aussi à l’équipe.