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Program6 questions à Marc Recha à propos de Jours d’août

Apolline Caron-Ottavi
September 30th, 2022
6 questions à Marc Recha à propos de Jours d’août

Nous avons saisi l’occasion de la projection prochaine d’une de nos nouvelles acquisitions, Jours d’août de Marc Recha, pour poser quelques questions au cinéaste catalan.

Dans Jours d’août, Marc Recha et son frère interprètent deux jumeaux qui tentent de faire un documentaire sur un journaliste récemment décédé, Ramon Barnils, militant pour l’indépendance de la Catalogne et opposant au franquisme. Le projet devient une errance intimiste le long de l’Èbre, parmi les vestiges de la guerre civile. Et le film prend des allures de road movie introspectif et poétique, peuplé de souvenirs, de fantômes et de mythes.

Jours d'août by Marc Recha

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Quel a été le point de départ de ce projet ? Vous aviez auparavant tourné des fictions, ce film-ci joue avec le documentaire et l’autofiction… Vous vous mettez aussi en scène pour la première fois, aux côtés de votre propre frère.

Au départ, ce projet est parti d’une commande de l’Université de Barcelone. J’ai accepté à une condition : que les différentes frontières soient effacées, et notamment celle entre le documentaire et la fiction. Pour moi, l’idée de documentaire n’existait pas pour ce film, il s’agit d’une fiction autobiographique. Et l’idée était de tourner sans écrire de scénario. Or, sans scénario, il fallait faire le compromis de ne pas travailler avec des acteurs professionnels. Avec mon frère, nous avons donc joué les rôles nous-mêmes, en se prêtant à la fiction autobiographique, comme si nous étions les personnages.

Jours d'août by Marc Recha

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Vous marchez sur les pas du journaliste et militant Ramon Barnils, qui est comme le fil d’Ariane du film. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?

Il faut remonter à la Catalogne des années 1930, de la révolution espagnole de 1936 – surtout du côté catalan, la révolution a duré trois ans, mais la guerre civile a été perdue et tout a radicalement changé. Ramon Barnils est un homme de l’après-guerre mais il a connu les personnalités des années 1930. Faire cette continuation m’a permis d’aborder le fait que le début du XXe siècle est un moment charnière dans les pays de la révolution industrielle, marqué par les nouveautés, l’arrivée du cinéma, la massification du sport etc. Le film parle aussi de ça, de ce rapport à la modernité.

Jours d'août by Marc Recha

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Comment a pris forme le croisement entre l’histoire intime et l’histoire collective?

Il y a une histoire très importante dans le film : celle de mon grand-père, un professeur très réputé, qui travaillait avec la méthode Montessori. C’était un conservateur catalaniste mais il était proche des anarchistes. Ça peut paraître curieux mais c’était comme ça dans la Catalogne de l’époque, il y avait des alliances entre conservateurs catalanistes et anarchistes. Il n’y avait pas encore de communistes à ce moment-là.

J’ai commencé à lire les carnets de mon grand-père, qui a été mobilisé à la fin de la guerre, à la bataille de l’Èbre. Lui avait 43 ans à l’époque, mais il y avait aussi des jeunes de 15 ans qui étaient mobilisés, parmi les derniers à être réquisitionnés pour aller à la guerre. Il était certain de mourir pendant cette bataille, alors il a commencé à écrire ces journaux pour sa femme. Le film suit un peu cet itinéraire, à travers les paysages, en mêlant l’histoire de mon grand-père, le parcours de Ramon Barnils et la fiction autobiographique…

Jours d'août by Marc Recha

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Les paysages justement, ainsi que l’été caniculaire, jouent un rôle très important dans le film, ils deviennent le terreau de l’introspection.

Oui, les paysages sont essentiels, le générique de fin souligne d’ailleurs qu’ils sont l’affaire de tous. Si on détruit les paysages, on détruit la mémoire collective. Le film porte sur ça. Quant à l’été, nous avons tourné en juillet 2004 et il y avait une chaleur écrasante, sans une goutte de pluie. J’ai décidé de faire entrer cette question de la sécheresse dans le film. Lorsqu’on fait du cinéma, je pense qu’on doit parfois ouvrir une fenêtre sur la vie : même si on a écrit un scénario, il faut savoir à certains moments prendre en compte la réalité autour de nous. En tant que cinéaste, il faut d’abord faire un travail d’observation, puis porter un regard personnel à partir de ces observations pour construire une image.

Jours d'août by Marc Recha

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Le film est une errance, sur le mode de l’improvisation, mais en même temps on sent aussi une vraie écriture narrative, et plus généralement un rapport au récit, avec la voix off de votre sœur ou la façon de convoquer le conte, l’imaginaire, les légendes…

Le travail d’écriture se fait au montage, c’est d’ailleurs à ce moment-là que j’ai commencé à écrire la voix off. Ce film-ci n’avait pas de scénario mais je trouve que c’est vrai aussi avec les films scénarisés : ils se construisent vraiment au montage. Et puis il y a un côté littéraire dans tous mes films. Tout mon cinéma vient de la littérature : Melville, les écrivains catalans comme Josep Pla, espagnols comme Pío Baroja, français comme Louis-Ferdinand Céline, et bien d’autres… J’ai passé toute mon enfance au cinéma à Barcelone et puis à l’adolescence j’ai commencé à lire énormément : je viens donc de ce mélange entre littérature et cinéma. C’est ce qui permet de créer différentes structures narratives, de plonger dans l’univers plus suggestif de la mémoire, de l’imagination, de la curiosité…

Jours d'août by Marc Recha

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Comment voyez-vous ce film rétrospectivement et avez-vous un nouveau film à venir?

C’est un film qui reste très spécial pour moi. Le cinéma est une expérience collective qui permet une évolution personnelle, et j’ai beaucoup grandi avec ce film. C’est un film d’expérience, d’initiation, un moment d’épiphanie aussi… Nous avons tourné en 35 mm alors qu’à l’époque les gens commençaient déjà à tourner ce genre de films en vidéo, mais j’ai insisté pour travailler avec des vraies caméras de cinéma. Chaque film que je fais est en quelque sorte un hommage au cinéma. En ce moment je suis en plein mixage d’un nouveau long métrage, qui s’appelle Wild Road et a été tourné dans les Pyrénées catalanes : une sorte de western sur la structure d’un thriller avec un regard personnel d’auteur… Une bonne combinaison, j’espère que vous le verrez à Montréal!