ProgramCes robots qui nous côtoient
Le cinéma a grandement contribué à forger notre imaginaire des robots. Deux grands types se distinguent d’emblée : les androïdes d’apparence humaine et les créatures mécaniques aux formes plus rustiques. Les uns et les autres n’ont pas été employés de la même façon par les cinéastes, ni dans leur questionnement de la moralité humaine, ni pour les sentiments qu’ils éveillent auprès du public. À l’heure où l’intelligence artificielle est bien réelle, retour sur quelques classiques robots de cinéma.
L’une des premières androïdes à l’écran, le double maléfique de la travailleuse Maria dans le Metropolis de Fritz Lang, reflète déjà les inquiétudes éprouvées face à l’ambivalence de ces êtres mi-humains mi-machines, à la fois aisément manipulables et partiellement autonomes. Lors de ses premières apparitions, le robot de Metropolis (1927) évoque encore quelque part l’automate de l’ancien temps, créature mécanique sans intériorité. C’est lorsqu’elle hérite du visage de Maria qu’elle semble s’animer au sens fort du terme – et devenir vraiment inquiétante.
Miroir de l’âme, le visage est au cœur de la littérale « prise de conscience » des humanoïdes. Le simple fait de posséder un visage semble les amener à s’interroger sur leur état, pour le meilleur et pour le pire. Dans Westworld (Michael Crichton, 1973), où les robots d’un parc d’attraction décident d’exterminer ceux qui s’amusent à leur dépens, le paroxysme de l’horreur survient lorsque le masque humain de l’androïde interprété par Yul Bruyner se détache pour révéler les méandres métalliques de son crâne. De façon symétrique, Alex Garland isole volontairement le visage de la femme robot d’Ex Machina (2014), héritière ultra-technologique de Galatée; il en fait un motif troublant, accroché sans vie au mur tel un trophée en série, ou apposé comme unique fragment de chair vivante sur un corps métallique.
Dénué de visage, le robot Gort de The Day the Earth Stood Still (Robert Wise, 1951) est en revanche plus proche de la figure du Golem, façonné pour être une arme de dissuasion inexpressive et dénuée de volonté propre. Dans ce cas-ci, la sagesse des extraterrestres qui l’emploient en fait un outil de paix, mais non sans laisser planer son immense potentiel de destruction. Dans un même registre sécuritaire, mais de façon bien différente, le super robot policier de RoboCop (Paul Verhoeven, 1987), voué à être une brute sans âme dévie de sa fonction car il est inévitablement rattrapé par l’essence humaine de sa vie antérieure.
Les robots qui ne sont ni androïdes ni même humanoïdes ont été popularisés par le cinéma de genre. Dès 1956, le robot Robby a ainsi volé la vedette aux acteurs du Forbidden Planet (Fred MacLeod Wilcox) pour devenir une figure culte et même fétichisée. Il a ouvert la voie sur les écrans aux robots de fonction, sympathiques héros ordinaires et involontaires qui suscitent tout particulièrement notre empathie, un peu au même titre que les chiens dans l’histoire du cinéma. On les anthropomorphise d’autant plus qu’ils n’ont pas une allure anthropomorphe : pour prendre l’exemple fameux de Star Wars (George Lucas, 1977), R2D2 a toujours été plus attachant que C3PO. Si les androïdes nous fascinent, nous intriguent ou nous émeuvent, ils nous ressemblent souvent trop pour ne pas nous inspirer également la méfiance, l’agacement ou les jugements que nous réservons à nos pairs et à nous-mêmes. La seule exception étant peut-être l’enfant de A.I. (Steven Spielberg, 2001), avec son indiscutable innocence…
Les petits robots de fonction n’ont pas choisi d’être là, subissent les caprices humains et font de leur mieux pour être à la hauteur. Ils sont ainsi vite dédouanés du soupçon d’avoir de mauvaises intentions et sont d’autant plus touchants qu’ils servent notre monde sans avoir rien à y gagner. L’exemple le plus frappant est celui de Huey et Dewey dans Silent Running (Douglas Trumbull, 1972), robots inexpressifs devenus les gardiens de la dernière des forêts, conservée dans un vaisseau-serre à la dérive dans l’espace interstellaire. L’image d’un petit robot qui arrose consciencieusement des fleurs dont il n’a pourtant pas besoin pour exister et appartenant à un monde qu’il n’a pas connu est particulièrement poignante. Andrew Stanton s’en souviendra lorsqu’il confiera à Wall-E (2008) la tâche émouvante de préserver une plante ou d’admirer les étoiles, alors même que l’humanité a désappris à le faire.
Impossible pour finir de ne pas faire un pas de côté et dire un mot d’une autre catégorie de ces machines qui nous côtoient : les supers ordinateurs, qui combinent de façon paradoxale l’altérité pure de l’engin et l’intelligence d’un être conscient. Outre le célèbre HAL de 2001 (Stanley Kubrick, 1968), avec sa capacité de manipulation complexe, ou encore le super-système de Tron (Steven Lisberger, 1982), qui fait de la chasse à l’homme un jeu virtuel, l’un des ordinateurs les plus fascinants de la science-fiction est celui de Colossus – The Forbin Project (Joseph Sargent, 1970): son désir de pouvoir absolu l’amène à s’immiscer jusque dans les chambres à coucher – rejoignant les androïdes dans cette sexualité latente de la machine qui a toujours tant fasciné. La prémisse marquante du film, dans laquelle l’ordinateur se met à dialoguer avec un homologue dans un langage informatique inconnu des humains, a par ailleurs été rattrapée ces dernières années par la réalité et le sera encore à coup sûr.