ProgramL'univers sonore de Claude Beaugrand vu par Olivier Calvert
À titre de monteur sonore, Olivier Calvert a travaillé aux côtés du regretté Claude Beaugrand pour les films Maurice Richard, Soie, Yellowknife et Embrasse-moi comme tu m’aimes, pour ne nommer que ceux-là. Nous l’avons invité à plonger dans ses souvenirs de sa collaboration avec Claude Beaugrand, qui s’est éteint le 8 octobre 2023.
Qu’est-ce qui caractérise le travail de conception sonore de Claude Beaugrand ?
Il y a tellement de facettes dans le travail de Claude Beaugrand qu’il est difficile de ne pas être réducteur! L’essentiel, chez lui, est qu’il cherchait à donner un sens à une image en lui juxtaposant un son qui n’était pas nécessairement lié à cette image-là. Claude travaillait beaucoup le hors-champ ainsi que le son « non diégétique ».
Bien sûr, le son synchrone (enregistré au moment de la prise de vue) avait une place dans son approche, mais recréer le son à partir de ce qu’on voit dans l’image, c’était aussi lui ajouter une émotion. Il ne s’agit pas juste de recréer banalement le son, mais de lui donner une plus-value. Cela consiste souvent à utiliser des sons provenant d’autres sources que celles générant le « vrai » son.
Cela permet de composer des images fortes et de changer, parfois, le regard sur le plan. Claude Beaugrand se servait du son comme d’une grammaire : oui, il y a le montage-image, mais ensuite vient le son, qui peut amplifier une coupe, marquer un plan. Claude créait un rythme avec le son. Il parvenait à faire oublier des plans que certains réalisateurs aimaient moins ou qu’ils trouvaient moins réussis. Le son permettait de mieux faire passer ce plan.
Claude appréciait le terme « artisan ». Son lieu de travail, il l’appelait d’ailleurs « l’atelier Claude Beaugrand ». Il se voyait comme un artisan qui travaille la matière, comme un sculpteur. Il creusait le film pour en faire surgir des sons, cherchant de nouveaux sens, de nouvelles juxtapositions d’images et de sons.
Pouvez-vous nous donner des exemples de ses méthodes de travail ?
Claude a commencé comme preneur de son. Après être devenu concepteur sonore, il a continué de faire de la prise de son, allant enregistrer des sons pour alimenter ses conceptions sonores. Sa façon de travailler n’était pas nécessairement by the book, pas comme on apprend dans une école. Il ne se préoccupait pas des dictats techniques. Il se laissait guider par ce que ses oreilles captaient et ce que son corps ressentait. Il essayait plein de choses, il aimait ça. Il pouvait mettre ses micros très proches de l’eau, au fond d’un tonneau ou très proche d’un brûleur à goudron (il y en avait un sur sa rue).
Quelle a été l’influence de Claude Beaugrand sur votre carrière ? Sur le plan personnel et professionnel, quelle a été votre relation avec lui ?
Vous savez, Claude était un cinéphile et un mélomane d’une grande curiosité. Quand je suis arrivé dans ce métier, j’ai découvert, grâce à lui, un monde incroyable. Il m’a fait découvrir plein de films, plein de musique.
J’ai collaboré étroitement avec lui comme monteur sonore pendant douze ans. J’ai pu le voir travailler de près, voir ses essais, ses erreurs. J’étais aux premières loges pour écouter ses rencontres avec les réalisateurs, les compositeurs.
Mon travail, la plupart du temps, était de lui fournir la base de sons réels, et lui pouvait se concentrer sur les particularités du film. Claude m’a aussi donné plein d’opportunités. Comme il était très connu, il devait être capable d’honorer un certain volume de travail, puisqu’il ne pouvait pas tout faire. Il disait : « Je ne peux pas le faire. Je vous conseille de travailler avec Olivier. ». Il m’a ainsi confié des films dont je faisais la conception sonore en m’encourageant à tracer mon propre parcours. C’était important, pour lui, que je développe ma personnalité de concepteur sonore. Il n’intervenait jamais dans ce que je faisais, mais s’assurait d’être présent pour moi si j’avais besoin de conseils. Il fut un incroyable mentor et ami.
Vignette d'en-tête : Claude Beaugrand par Bernard Gosselin
Entretien réalisé le jeudi 26 septembre 2024 par Marco de Blois