ProgramPépites du cinéma mexicain
Une nouvelle génération de cinéastes audacieux émerge au Mexique dans les années 1940 et lance le bal d’une période faste du cinéma mexicain, dont notre cycle présenté en collaboration avec Quebecine et la Cineteca nacional de Mexico offre un éloquent aperçu.
Les années 1940 marquent le début d’une période que l’on a surnommé le « miracle mexicain », caractérisé par une stabilité politique et un fort développement économique. Avec l’industrialisation vient l’avènement d’une classe prolétaire que le cinéma souhaite capter, avec l’idée de forger une culture nationale. Le contexte prospère va permettre à l’industrie cinématographique mexicaine de s’imposer auprès des couches populaires en Amérique latine tout en encourageant la créativité de cinéastes comme Emilio Fernández, Roberto Gavaldón ou Julio Bracho, dont les films constituent l’essentiel de notre cycle.
Sur fond de Seconde Guerre mondiale, le Mexique signe avec les États-Unis un pacte qui lui garantit des prêts et de l’aide technologique en échange de sa coopération militaire et économique. L’industrie du cinéma en profite, soutenue matériellement et même parfois financée par Hollywood. Et tandis que Hollywood se concentre alors sur les films consacrés à l’effort de guerre, le cinéma mexicain prend la relève sur des genres typiques du cinéma américain, tout en développant son propre style et ses propres thématiques.
Une aube différente de Julio Bracho, considéré comme l’un des premiers films noirs du cinéma mexicain, en est un exemple. L’atmosphère du film noir sert ici une intrigue politique (et amoureuse) qui dénonce sans équivoque la corruption gouvernementale, à travers le périple d’un syndicaliste traqué par des agents aux méthodes criminelles. Le directeur de la photographie, Gabriel Figueroa, pousse à l’extrême les possibilités du noir et blanc, allant même parfois jusqu’à obscurcir complètement l’arrière-plan derrière les personnages, accentuant ainsi le sentiment d’une menace latente. La ville nocturne est magnifiquement filmée, véritable labyrinthe interlope propice à la perdition.
On retrouve Gabriel Figueroa dans l’équipe fidèle d’un très grand nom du cinéma mexicain : Emilio « El Indio » Fernández, qui devait son surnom à ses origines kikapu. Il doit fuir le Mexique dans les années 1920 pour avoir participé à un putsch révolutionnaire raté. Il se rend alors à Hollywood pour jouer les extras (comme bien d’autres figures de cet âge d’or du cinéma mexicain), ce qui lui donnera l’occasion de voir des extraits du Que Viva Mexico d’Eisenstein, une expérience décisive. De retour au Mexique, il tient des rôles plus importants tout en aspirant à devenir cinéaste. Avec ses films, il va participer au projet d’une unité nationale postrévolutionnaire : il s’attache à offrir au Mexique ses propres récits et ses propres images, en souhaitant sortir de l’imitation et des stéréotypes.
Avec Figueroa et quelques collaborateurs fidèles, il va forger une esthétique poétique de son pays et révéler le cinéma mexicain sur la scène internationale. Ses films allient art de la mise en scène et critique sociale, abordant le machisme, le racisme ou la lutte des classes. Parmi ses œuvres, citons notamment Les bas-fonds de Mexico, film novateur donnant le ton des drames citadins qui soulèvent la question alors prégnante de l’urbanisation rapide et de ses conséquences sociales souvent délétères, ainsi que des inégalités grandissantes. Entre mélodrame sacrificiel et film noir, l’œuvre témoigne de la richesse du style visuel créé par Fernández et Figueroa, où se distinguent entre autres la savante composition des plans, l’expressionnisme des éclairages et l’usage du folklore.
Malgré les aléas économiques de l’après-guerre (et notamment la fin du soutien américain), la production connaît un regain à la fin des années 1940 et se maintient dans les années 1950, bien que les cinéastes doivent souvent composer avec de plus petits budgets et que le spectre d’un déclin de l’industrie commence à planer. De nombreux films de genre voient entre autres le jour, dont certaines franches réussites comme le délicieusement macabre Le squelette de madame Morales de Rogelio A. González.
Dans ces années-là, Roberto Gavaldón apparaît comme le digne successeur de Fernández, en signant des films d’auteurs très maîtrisés. Parmi eux, Macario s’inscrit dans la veine du réalisme magique pour raconter l’histoire d’un paysan affamé qui se fixe de réussir à manger une dinde à lui seul. On retrouve le talent de Figueroa à l’image dans ce film qui frappe par son onirisme et sa dimension parabolique. La fête des morts, dont les squelettes et les infinies victuailles hantent le protagoniste jusque dans ses rêves, est l’occasion de visions mémorables. Celles-ci sont un exemple de la façon dont des cinéastes comme Gavaldón, Fernández et leurs collaborateurs se sont inspirés d’artistes tels que Diego Rivera ou José Guadalupe Posada pour nourrir leur quête d’identité d’un cinéma proprement mexicain.
Tous les films de ce cycle sont présentés grâce à des versions numériques restaurées par la Cineteca nacional de Mexico.
Pour approfondir à la Médiathèque :
Charles Ramírez Berg – The classical mexican cinema : the poetics of the exceptional golden age films, 2015.
Paulo Antonio Paranaguá – Le cinéma mexicain, 1995.
Gaston Lillo – Notes sur l'histoire du cinéma mexicain, La Revue de la Cinémathèque, 27, mars-avril 1994.
André Dudemaine – Emilio « El Indio » Fernández (1904-1986), La Revue de la Cinémathèque, 84, avril-juillet 2006.
Vignette d'en-tête: La villageoise d'Emilio Fernández.