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ExpositionEntretien avec Robert Morin

Apolline Caron-Ottavi
26 juin 2023
Entretien avec Robert Morin

Jusqu'au 30 juillet, une autre facette du travail de Robert Morin est à découvrir dans la salle Norman McLaren: son œuvre de photographe, des années 1970 à aujourd'hui, ainsi qu'une installation déclinée de son dernier film, 7 paysages. Il a répondu à nos questions à l'occasion de cette exposition inédite.

Séries Danser la nuit, Gestes et postures et Avant la terre ferme

Parmi vos photographies, on observe surtout deux périodes : les années 1970, avant même vos premiers films, puis les années plus récentes. Quel a été votre parcours de photographe?

Mon parcours de photographe vient de la peinture en fait. Plus jeune, c’était la peinture qui m’intéressait. Et graduellement, j’ai voulu intégrer la photographie à mes peintures. Je faisais de la photo noir et blanc et je peignais par-dessus. Et à partir de là, je suis devenu photographe à plein temps. J’ai gagné un peu ma croûte avec ça, en faisant des pochettes de disque, des portfolios d’acteurs, de la photo industrielle… Et puis aussi beaucoup de photographie de rue, inspirée par Henri Cartier-Bresson, Diane Arbus, etc. J’ai fait ça pendant quelques années. Ensuite, des copains qui faisaient du cinéma m’ont demandé de faire la caméra sur leurs films, je suis passé de photographe à directeur photo et de fil en aiguille j’ai commencé à faire mes propres films. Et à partir de là, j’ai complètement délaissé la photo, je faisais du cinéma.

Comment y êtes-vous revenu? Votre approche récente est différente.

Je suis revenu à la photo dans les années 2010, après avoir reçu une caméra numérique en cadeau. Mais j’y suis retourné en me rapprochant cette fois de la peinture, soit impressionniste, soit expressionniste, en jouant avec les flous, en faisant des images plus abstraites… C’est un peu le chemin inverse des débuts : à partir de la photo, m’en aller tranquillement vers la peinture. Cette fois, c’est de la peinture numérique mais ça reste de la peinture quand même.

Les photos de vos débuts ont quelque chose de très documentaire, qui relève de l’observation… Est-ce que vous avez délaissé la photo parce que ce regard était incompatible avec ce que vous vouliez faire au cinéma?

Curieusement, oui, je n’ai jamais fait de documentaire au cinéma. Mais dans mes photos, en tout cas dans les meilleures, il y avait quand même la recherche d’histoires. Je photographiais beaucoup en grand angle, avec souvent plusieurs personnages, et mes photos préférées étaient celles où je pouvais deviner une histoire, un fil directeur entre ces personnages. Ça passe beaucoup par la composition : essayer de capturer des instants où des gens sont en interaction les uns avec les autres. C’était l’important pour moi, qu’on devine non pas des portraits mais des interactions. Peut-être parce que j’avais déjà le goût de raconter des histoires avec le cinéma.

De fait, les photos des années 1970 prennent aujourd’hui une valeur de témoignage. Aviez-vous conscience de cet aspect-là sur le moment?

Non, pas à l’époque, même si maintenant il peut y avoir un côté photo d’archive. Ça m’intéressait beaucoup de documenter les quartiers d’immigrants ou ce qu’on appelle les communautés culturelles par exemple, pas pour les archiver mais plutôt par curiosité pour leurs archétypes. C’est ce qui m’importait, documenter, un peu comme ce que faisaient les grands reporters à l’époque, comme Robert Frank aux États-Unis ou Cartier-Bresson en France… Une espèce de mélange entre la photo « artistique » et le reportage.

Comment aviez-vous découvert ces photographes?

Dans les bibliothèques, à travers les livres… Et j’ai vu mes premiers vrais tirages de certains de ces photographes lors d’un séjour à New York. C’est là que j’ai vu mes premiers Ansel Adams, Diane Arbus etc. J’ai d’ailleurs fait pas mal de photos là-bas, New York est assez présente dans certaines séries.

Premières photos

Les séries justement sont au cœur de l’exposition. Qu’est-ce que permet le principe de la série et à quel moment ça devient conscient qu’on est en train d’en faire une ?

C’est en regardant les photos. Dans la même journée, quand je n’avais rien à faire – et ça arrivait souvent, j’étais pas mal sur le chômage! – je prenais plusieurs photos. Et puis en les classant, en les développant, en les regardant le soir, c’était clair que je voyais apparaître des grands thèmes, ceux qui me parlaient le plus. Par exemple, les photos d’immigrants, celles des gens tout petits et la série des gestes et postures, ce sont trois séries qui ont été faites pratiquement en même temps. Mais à un moment donné, leurs thèmes se sont précisés et à partir de là je les ai vraiment recherchés. Ça restait des hasards, mais si je voyais une scène avec un personnage tout petit dans un grand espace, c’était automatique, ça éveillait tout de suite mon doigt sur le piton.

Dans la période plus récente, vous poursuivez les séries mais cette fois plutôt autour de concepts?

Oui, mais en fait, comme je le dis dans la phrase qui est en introduction de l’exposition, le matériau principal de la photographie pour moi, c’est le hasard. Je n’ai jamais fait de mise en scène de mes photographies, contrairement à quelqu’un comme Jeff Wall ou d’autres photographes modernes qui sont beaucoup dans la mise en scène. Le matériau avec lequel je travaille, c’est toujours le hasard : si on prend par exemple mes photos récentes, comme les flous de voyages ou les flous de pornographie, ce sont des expositions très lentes qui donnent le flou. Et il faut des milliers de photos avant d’obtenir un flou qui plaise à l’œil, qui soit satisfaisant.

En parlant de milliers de photos, comment avez-vous fait le tri pour l’exposition?

Ça a été long et pénible! J’avais 40 000 négatifs. Donc je me suis installé dans ma cabane, pendant le temps de la COVID, et je les ai étalés sur des lits, j’ai reclassé, j’ai jeté aussi, parce que toute photo n’est pas bonne à prendre. J’en ai jeté 30 000, peut-être même plus. J’ai gardé les plus intéressantes et je les ai faites numériser ou je les ai numérisées moi-même, en grande partie, pour aboutir à environ 500 pour l’exposition. Mais j’en ai à peu près 500 autres qui pourraient potentiellement être exposées. Avec la conservatrice, Béatrice Cloutier, on s’est arrêtés sur les séries qui sont mises en valeur dans l’exposition mais j’en ai aussi avec des natures mortes, des paysages, des portraits... J’ai une série de photos de la période hippie par exemple, avec les communes, la drogue, le rock’n’roll! Je faisais énormément de photos, j’étais là-dessus sans arrêt. J’étais peut-être aussi compulsif en photographie que je l’ai été en cinéma.

Une autre partie de l’exposition, ce sont les deux salles autour de 7 paysages. Le film est déjà presque une installation, avec les sept points de vue de la caméra. Est-ce que dès le départ vous saviez que vous vouliez en faire une installation?

Oui, l’idée de départ c’était d’essayer de comparer la linéarité versus l’immersion. C’est-à dire que d’un côté le film est linéaire dans la mesure où c’est moi qui décide à quel moment on cesse de regarder tel ou tel paysage; et de l’autre, c’est complètement immersif, on peut se planter là et regarder où on veut, quand on veut, indéfiniment. Une grande partie des images du film se retrouvent dans l’installation et ça c’était déjà voulu en partant. Je voulais voir la différence entre ces deux façons d’aborder l’image en mouvement. Et j’ai été surpris de voir le résultat avec l’installation, parce que je m’attendais à ce que ce soit un peu énervant, ces plans très courts avec ces fondus très courts… C’est une année montrée en vingt minutes alors que dans le film ça prend une heure et quart, donc je m’attendais à ce que ce soit trop rapide. Mais finalement, comme on a le choix de regarder où on veut et que ce sont des images de la nature, ça se prend assez bien, de façon contemplative. Ça aurait probablement été complètement différent avec sept paysages urbains, les bruits de la ville, l’excitation, le manque de verdure… Le même concept aurait peut-être été agaçant. Mais là, j’ai été agréablement surpris.

Flous voyage et Porno sombre recyclée

Installation 7 paysages

Après les villes ou les voyages, comment est venue l’envie de filmer cette nature, proche de vous?

C’est venu quand j’ai décidé d’aller vivre à la campagne, dans la forêt, parce qu’avant ça j’étais complètement urbain : mes photographies, ma cinématographie, c’est surtout en ville que ça se passe. Alors c’est tout récent. Je viens de finir un nouveau film, Festin boréal, qui est lui aussi tourné près de chez moi, dans la forêt, avec des animaux cette fois. C’est le deuxième film d’une trilogie si on peut dire, dans la nature comme telle.

Dans vos photographies, vous montrez souvent la vulnérabilité des humains. Là ça inverse un peu la donne, parce que le paysage semble vulnérable, perturbé par l’humain…

C’était voulu, je me suis rendu compte que 7 paysages est peut-être le joint entre la photo et mon cinéma. La photographie c’était du documentaire, mon cinéma c’est de la fiction, et dans le cas de cette œuvre, c’est vraiment un amalgame des deux. Il y a une part complètement documentaire, avec les paysages, et tout à coup la dimension bucolique de l’observation de la nature est complètement chamboulée par une notion de fiction qu’on n’attendait pas. Dans les deux versions de 7 paysages, il y a une partie volontairement fictive et même science-fictive parce qu’il n’y a pas eu de guerre – pas encore du moins – dans mon coin de pays.

Et en même temps, ça résonne fort avec un sentiment d’inquiétude très contemporain.

Oui, parce que c’est fragile... Il y a des pays comme l’Ukraine qui avait un climat proche du nôtre et tout à coup se retrouve dans une situation horrible. La même chose peut nous arriver demain matin. C’est fragile tout ça.

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Photographies de l'exposition : Jean-Michaël Seminaro