ProgramMario Bava, en tous genres

Mario Bava est l’un des grands maîtres du cinéma de genre à l’italienne.

Mais ses films ont en quelque sorte toujours fait bouger les limites et les règles du genre, que ce soit par leur caractère pionnier et novateur ou par leur façon de revisiter et se réapproprier les codes. Ainsi, au-delà du prépondérant giallo, thriller fétichiste à l’italienne dont Bava est considéré comme l’inventeur, on croise dans l’œuvre du cinéaste toutes sortes de genres populaires aussi bien que des films qui dépassent les classifications. L’occasion de souligner quelques titres au sein de la rétrospective que nous lui consacrons, en partenariat avec l’Institut culturel italien de Montréal.
Dès ses débuts, Bava fait ses armes avec les grands genres populaires, tout en y mettant son grain de sel. En 1958, il fait son unique incursion dans la science-fiction horrifique avec La planète des vampires, film précurseur d’Alien, ayant sans doute inspiré les visions de Ridley Scott et Hans Ruedi Giger. Comme beaucoup de ses contemporains, il contribue également à ses débuts à l’intensive production de péplums et de films en costumes. Nous en montrons un flamboyant exemple avec La ruée des Vikings (1961), où le cinéaste ne lésine pas sur le baroque coloré et sanglant.
Avec La fille qui en savait trop (1963), Bava dessine les contours du giallo, genre qui connaîtra son heure de gloire quelques années plus tard, avec les films de Dario Argento notamment. Si Bava travaille encore en noir et blanc – la couleur deviendra ensuite un élément essentiel de sa mise en scène, en particulier avec Six femmes pour l’assassin (1964) – il met déjà en place certains motifs qui feront des émules : la jeune touriste américaine en visite dans la vieille Europe, le fétichisme qui entoure le rituel macabre, la place prépondérante de l’architecture qui devient en elle-même un théâtre du suspense et un étau qui se resserre... Sans compter un ton jouant sur les contrepoints – insouciance et étrangeté, humour et horreur – à l’image de la scène d’ouverture, qui loin de jouer la corde de l’angoisse, s’ouvre sur une pimpante chanson d’Adriano Celentano. Une dissonance à l’image d’une œuvre toujours joueuse. L’un des giallo moins connus de Bava, L’île de l’épouvante (1970), est à ce titre à revisiter : s’ouvrant sur une scène de danse proche de la transe (livrée par Edwige Fenech, qui débute avec ce film un parcours marquant dans le giallo), déroulant une intrigue relevant du jeu de massacre, le film exploite de façon jubilatoire son cadre insulaire et son contexte bourgeois.


L’autre genre qui marquera sa carrière en tant que cinéaste est l’horreur gothique, dont il signe quelques titres fameux : Le masque du démon, Opération peur, Les trois visages de la peur, Baron vampire… Toujours prompt à renouveler les codes, Bava en fera en quelque sorte une réécriture en 1973 avec le troublant Lisa et le diable, qui était l’un de ses films préférés. Dans cette intrigue vaporeuse, une élégante touriste (Elke Sommer) en visite en Italie reconnaît le diable (glaçant Telly Savalas) dans un magasin d’antiquités, juste après avoir vu sa représentation sur une fresque ancienne. La beauté du film tient à la capacité qu’a Bava de brouiller les lignes temporelles – de l’antiquité à aujourd’hui, en passant par une atmosphère début de siècle – grâce à une mise-en-scène qui tire toutes les ficelles de l’onirisme. Le rapport au passé évoque l’horreur gothique tout en la déplaçant vers une atmosphère méditerranéenne lumineuse, tandis que le fétichisme ambiant évoque le giallo tout en l’amenant plus que jamais du côté d’un cauchemar surréaliste et d’une inquiétante étrangeté. À noter que le film fit l’objet d’un remontage complet pour le marché américain, défigurant le récit et la nature de l’œuvre et intitulé La maison de l’exorciste, avec l’intention de surfer sur le succès de L’exorciste de William Friedkin.
Même si son œuvre n’est pas explicitement politique, Mario Bava a aussi eu le don d’être toujours en phase avec son époque. Citons pour cela deux de ses films phares, Danger: Diabolik! et Les chiens enragés. Dans le premier, réalisé en 1968, il s’empare du film d’espionnage pour plonger dans tout ce qui caractérise la fin des années 1960 : l’esthétique pop, le kitsch, la libération sexuelle… Endiablé, déjanté, sexy, Danger: Diablolik! est à ce titre le film le plus ludique et joyeux du cinéaste. Son univers pétillant et ses héros hauts en couleur – costume de cuir, jaguar et accessoires improbables à l’appui – en feront vite un objet culte.
À l’inverse, on peut voir Les chiens enragés (1974), à la toute fin de la carrière de Bava, comme son film le plus sombre et le plus acerbe. Le cinéaste s’inscrit cette fois dans le genre du poliziottesco, film policier à l’italienne, mais le pousse dans ses retranchements, explorant lui-même un nouveau type de mise en scène. Film de kidnapping caniculaire, road movie privé de tout souffle de liberté, huis clos insoutenable, Les chiens enragés est hanté par sa trame musicale, répétitive et omniprésente : tout prend ainsi la forme d’une boucle infernale, où la violence, explosive ou contenue, devient l’unique mode d’avancée narrative, alimentant la tension entre les personnages, hystériques ou sadiques d’un côté, tendus ou renfermés de l’autre. Et le cynisme latent qui finit par contaminer tout le film semble se faire la chambre d’écho du désenchantement croissant de son temps.
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Vignette d'en-tête : La fille qui en savait trop (La ragazza che sapeva troppo) de Mario Bava
