CinémaCes écrivains qui ont fait la SF
Les visions spectaculaires de la science-fiction ont émergé dans la littérature avant de conquérir le cinéma, médium tout désigné pour leur donner vie. Les univers de certains écrivains majeurs sont autant de fils d’Ariane à suivre au sein de notre cycle d’été.
Tout commence bien sûr avec Jules Verne, qui a perçu dès le XIXe siècle le potentiel d’aventure et d’imaginaire romanesques des inventions scientifiques. Son roman De la Terre à la Lune va inspirer Georges Méliès pour Le voyage dans la lune, premier grand chef d’œuvre de science-fiction au cinéma. La capacité de l’écrivain à s’émerveiller de ce qui nous entoure a été une source infinie d’inspiration, comme lorsqu’il imagine un monde incroyable juste sous nos pieds dans son Voyage au centre de la Terre, qui fera l’objet d’une adaptation très réussie et pleine de charme de Henry Levin avec James Mason en 1959. On retrouve également son univers foisonnant d'inventions dans l'étonnant film tchèque Invention for Destruction, réalisé par Karel Zeman en 1958. L’auteur des Voyages extraordinaires va plus largement léguer aux cinéastes de science-fiction cette idée même de « voyage », dans des contrées qui n’ont pas forcément besoin d’être lointaines ou galactiques pour être mystérieuses : en témoigne l’exploration épique du corps humain dans Fantastic Voyage de Richard Fleischer.
L’autre grand pionnier de la science-fiction, H. G. Wells, peut-être l’un des écrivains les plus adaptés au cinéma, a eu le talent de se pencher sur toutes les facettes du genre, dont il a contribué à forger certains grands principes. La science-fiction est chez lui toujours l’occasion de se pencher sur notre propre monde. Dans The Shape of Things to Come, écrit dans l’année significative de 1933, l’utopie futuriste naît d’une prédiction géopolitique dystopique; dans The Time Machine, l’invention permet d’imaginer les sociétés futures; dans The Invisible Man, la science physique est l’occasion de questionner la dimension morale de l’expérimentation; dans War of the Worlds, les mondes extraterrestres ouvrent la réflexion sur notre rapport à la guerre. Les adaptations respectives de ces livres par William Cameron Menzies, George Pal, James Whale, Byron Haskin et Steven Spielberg ont saisi cet aspect dans leur actualisation des récits : du Blitz de Londres chez Pal aux massacres de masse chez Spielberg, ils révèlent notamment le côté visionnaire de Wells sur la guerre mondialisée et industrielle. Mort en 1946, Wells sera rattrapé à la fin de sa vie par l’Histoire et le pessimisme, lui qui avait rêvé que la technologie puisse servir la paix.
Impossible de parler de science-fiction sans plonger dans l’univers de Philip K. Dick, imprégné par le contexte de la guerre froide aussi bien que par la période hippie, et qui touche tant au futur technologique qu’à la dystopie sociale ou à la perception distordue du réel. Son œuvre pétrie de faux-semblants, d’illusions paranoïaques, d’états seconds sous substances et de réalités alternatives a évidemment séduit le cinéma et engendré certains de ses plus grands succès en matière de science-fiction. L’écrivain en profitera à peine, décédant quelques jours avant la sortie du premier blockbuster tiré de son œuvre, le Blade Runner de Ridley Scott adapté de la nouvelle Do Androïds Dream of Electric Sheep?, qui contribuera à rendre son œuvre célèbre dans le monde entier. Outre les films directement liés à ses écrits comme les adaptations Planète hurlante de Christian Duguay (tiré de la nouvelle Second Variety), et A Scanner Darkly de Richard Linklater (adapté du roman éponyme), ou le sequel Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve, notre cycle est l’occasion de prendre la mesure de l’influence plus large de l’auteur sur la science-fiction contemporaine. Sa compréhension des dangers de la technologie et de ses dérives totalitaires, tout comme sa réflexion sur la porosité de ce qui définit la nature humaine, n’ont cessé de gagner en pertinence. Dans Gattaca, Andrew Niccol poursuit ses réflexions sur la manipulation génétique; dans le cyberpunk The Matrix, le tandem Wachowski fait écho à ses visions sur la réalité virtuelle. On pourrait multiplier les exemples de films évoquant certains motifs, une atmosphère, des idées inspirées de Dick ou encore de son digne héritier l’écrivain William Gibson : de Johnny Mnemonic de Robert Longo à Strange Days de Kathryn Bigelow en passant par Ghost in the Shell de Mamoru Oshii...
Du côté de l’Europe de l’Est, l’écrivain Stanislas Lem a des points communs thématiques avec Philip K. Dick, seul écrivain de science-fiction américain qui trouvait d’ailleurs grâce à ses yeux, lui qui critiquait la pauvreté d’une littérature du genre trop axée sur la rentabilité. S’interrogeant sur la capacité de l’homme à faire face à sa propre technologie, à communiquer avec les civilisations extraterrestres ou à créer un futur meilleur, les récits de Lem sont particulièrement philosophiques, à l’image de l’océan pensant au cœur de son Solaris. C’est cette dimension spirituelle et psychologique que développe Andreï Tarkovski, dans son adaptation, offrant à la science-fiction un chef d’œuvre détaché de la sempiternelle question du progrès technologique. Inspiré de The Magellanic Cloud, le film tchécoslovaque Ikarie XB1, réalisé par Jindřich Polák, explore comme le roman la question de la relativité du temps, l’impact de nos déchets spatiaux et les enjeux de notre quête d’un contact extérieur, est considéré comme l’une des influences probables du 2001 de Stanley Kubrick. Enfin, en 2013, Ari Folman signe une libre réécriture du roman de Lem Le congrès de futurologie avec le film partiellement en animation Le congrès, dans lequel il transpose le discours sur le totalitarisme à l’industrie du divertissement.
Citons pour finir l’auteur de Jurassic Park, Michael Crichton, présent dans ce cycle science-fiction avec la formidable adaptation de son roman The Andromeda Strain par Robert Wise, ainsi qu’avec un film dont il est lui-même le réalisateur, Westworld, qui s’empare déjà du thème du parc d’attraction (quelques années avant Jurassic Park) avec cette fois des robots de plus en plus conscients de leur exploitation. Des images pandémiques dans le premier à l’IA dans le second, ces films tirés des visions de Crichton sont plus troublants que jamais à revisiter.
Vignette d'en-tête : Blade Runner