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CinémaLe cinéma fantastique ensorcelé par l’animation

Apolline Caron-Ottavi
26 juin 2025
Le cinéma fantastique ensorcelé par l’animation

Le cinéma fantastique, territoire absolu de l’imaginaire, du merveilleux et de l’impossible, a été un formidable terrain de jeu pour les inventeurs, les bricoleurs et les pionniers en tout genre, en particulier lorsqu’ils ont exploré les procédés du cinéma d’animation.

Higglety Pigglety Pop! or There Must Be More to Life de Chris Lavis et Maciek Szczerbowski

L'animation peut d’ailleurs déborder de ses frontières et inspirer des films fantastiques qui n'en relèvent pas strictement. Le programme d’ouverture de notre cycle en témoigne avec quatre courts métrages québécois qui dialoguent avec l’animation à différents niveaux, plus ou moins directement. Avec le court métrage animé Pas de titre, Alexandra Myotte souligne la façon dont tout est question de point de vue dans la façon dont le réel peut prendre des atours fantastiques. Dans Le temple, film de sous-marin d’Alain Fournier, les effets visuels apposés sur les prises de vues nous plongent dans la sombre étrangeté des abysses de l’océan comme des abîmes de l’esprit. Si Next Floor de Denis Villeneuve n'est pas un film d'animation, il joue en quelque sorte avec une succession de tableaux animés. Enfin, inspiré du livre éponyme de Maurice Sendak, Higglety Pigglety Pop de Chris Lavis et Maciek Szczerbowski mêle prise de vues réelles et stop motion pour relater sur un ton tour à tour surréaliste, grinçant et poignant le voyage initiatique d’une chienne intrépide. À noter que Lavis et Szczerbowski seront parmi nous pour présenter un autre de leurs films le 29 juillet : le court d’animation Cochemare, projeté en première partie de The Pied Piper de Jiří Barta.

Dans la foulée de ce programme inaugural, voici donc un petit tour d’horizon des merveilles animées qui vont ponctuer notre cycle d’été.

Rêveurs visionnaires

Georges Méliès, Segundo de Chomón, Charles R. Bowers : le programme de cinéma muet en musique de la première semaine du cycle sera l’occasion d’admirer l’inventivité des créateurs des premiers temps, qui se sont vite emparés du potentiel fantastique du cinéma en déformant le réel de façon jubilatoire grâce au montage, aux superpositions d’images et autres trucages. Actif quelques années après Méliès et de Chomón, Charley Bowers a signé des merveilles de surréalisme – André Breton en raffolait. Dans Egged On, on voit ainsi une voiture couver des œufs. Au moment de l’éclosion, des petits amas de matière noire sortent de la coquille pour prendre sous nos yeux la forme de jolies automobiles miniatures : une performance d’animation image par image!

Egged On de Charles R. Bowers

Le cinéma fantastique ne serait pas ce qu’il est sans l’impact du grand pionnier des effets spéciaux, Ray Harryhausen. À partir des années 1950, il a donné vie aux visions les plus incroyables grâce à une exploration poussée de l’animation en volume, inventant une technique qu’il avait baptisée « Dynamation ». Harryhausen a révolutionné le film d’aventures, donnant vie à l’écran aux créatures les plus insensées: on assiste ainsi à une rencontre inoubliable avec un cyclope dans The 7th Voyage of Sinbad, à l’attaque d’une armée de squelettes dans le fameux Jason and the Argonauts, au combat de Persée et de Pégase avec le Kraken à la fin de Clash of the Titans. Le numérique a eu beau submerger depuis le monde des images, les effets spéciaux de Harryhausen n’ont rien perdu de leur charme et de leur pouvoir de fascination, conférant aux créatures une présence unique, qui s’imprègne dans la rétine et dans l’imaginaire des spectateurs de tous âges.

Clash of the Titans de Desmond Davies

The Fabulous Baron Munchausen de Karel Zeman

Entre deux mondes

La rencontre de la prise de vue réelle et de l’animation a toujours été un défi convoité à travers l’histoire du cinéma. Les rencontres entre héros de notre monde et créatures imaginaires sont nombreuses dans notre cycle d’été, de The Neverending Story de Wolfang Petersen à Where the Wild Things Are de Spike Jonze. L’aboutissement le plus culte du mélange des deux mondes est peut-être le Who Framed Roger Rabbit? de Robert Zemeckis, où le pastiche de film noir rencontre le cartoon – un croisement qui culmine avec l’idée de la « dip », l’effroyable trempette d’acide dans laquelle le juge Doom menace de dissoudre les personnages animés. Mais d’autres cinéastes ont exploré auparavant ce mariage de l’animation et de la prise de vue réelle, à commencer par le tchèque Karel Zeman, dont l’univers provoque un véritable sentiment d’enchantement en combinant performances d’acteurs et fantasmagories animées sur fond de décors peints. Son film The Fabulous Baron Munchausen (aussi connu sous le titre Le baron de Crac), qui convoque certaines techniques d’animation dans une aventure en prise de vues réelles, viendra clore notre cycle d’été; le film sera l’occasion de faire le pont avec la rétrospective de la rentrée consacrée à Terry Gilliam : ce dernier a en commun avec Zeman d’avoir porté à l’écran le fameux baron et de venir du cinéma d’animation, dont il a lui aussi tiré les rêveries les plus fantasques.

The Son of the White Mare de Marcell Jankovics

À propos de Zeman, il convient d’ailleurs de souligner la forte présence du cinéma d’animation tchèque dans notre cycle d’été : Jiří Trnka avec A Midsummer Night’s Dream, adaptation en marionnettes de la pièce de Shakespeare, qui atteint des sommets de savoir-faire et de sensualité; Jiří Barta avec The Pied Piper, adaptation expressionniste et inquiétante du conte médiéval du joueur de flûte de Hamelin; et bien sûr Jan Švankmajer, avec Alice, réécriture troublante du récit de Lewis Caroll. Du côté de l’Europe de l’Est, mentionnons aussi The Son of the White Mare de Marcell Jankovics, chef d’œuvre psychédélique nourri par le folklore hongrois, qui propose une expérience hypnotique par son extrême stylisation des formes et son apothéose de couleurs vives.

Grands récits

Les mythes, les légendes folkloriques et surtout les contes ont fourni la matière de certains des plus grands films d’animation. Le roi et l’oiseau de Paul Grimault, adaptation de La bergère et le ramoneur de Hans Christian Andersen, en est un exemple. Amorcé après-guerre comme un projet pionnier dans l’animation française, le film mettra finalement trente ans à voir le jour sous la forme désirée par ses créateurs, Grimault et le poète Jacques Prévert. Novateur dans sa façon de s’adresser à tous les publics tout en dressant une puissante parabole politique et philosophique, le film transpose le schéma du conte dans un univers onirique, où l’on oscille entre humour et mélancolie. Avec son royaume vertical aux décors soigneusement peints, ses personnages hauts en couleur (tant du point de vue de leur personnalité que des aplats qui les composent) et sa musique sublime, il s’agit d’un monument de poésie et de beauté.

Le roi et l'oiseau de Paul Grimault

The Tale of Princess Kaguya d'Isao Takahata

Le roi et l’oiseau fut une révélation pour deux cinéastes japonais qui allaient bientôt fonder les studios Ghibli : Hayao Miyazaki et Isao Takahata. Dans Le conte de la princesse Kaguya, son dernier film, Takahata reprend tout particulièrement cette trame du conte avec la limpidité des grands maîtres. La beauté de la mise en scène repose sur les changements qui s’opèrent dans la facture visuelle : en cours de film, le dessin, caractérisé par une simplicité de trait et des tons pastel, se met à bouillonner, en même temps que Kaguya. La fuite en avant de celle-ci entraîne l’image avec elle, à grands coups de pinceaux et de contrastes, vers un état d’esquisse et de quasi-abstraction. Le film a beau être réalisé par un vétéran, il souffle ainsi un vent de jeunesse inoubliable.

Soulignons également parmi le corpus animé de notre cycle d’été deux réussites dans le domaine de l’heroic fantasy signées par Ralph Bakshi, Wizards et The Lord of the Rings; et deux films jeunesse qui dialoguent chacun à sa façon avec le temps : Jack et la mécanique du cœur, et son héros au cœur d’horloge, et Avril et le monde truqué, qui se déroule dans un Paris uchronique inspiré de l’œuvre de Jacques Tardi.

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Vignette d'en-tête : Who Framed Roger Rabbit? de Robert Zemeckis

Avril et le monde truqué de Franck Ekinci et Christian Desmares