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CinémaCourts métrages expérimentaux québécois

Louis-Jean Decazes
29 novembre 2024
Courts métrages expérimentaux québécois

La Cinémathèque propose le 2 décembre un programme de sept courts métrages expérimentaux signés par des cinéastes québécois contemporains : Louise Bourque, Karl Lemieux, Daïchi Saïto et Pierre Hébert. Un film réalisé par ce dernier sera présenté en première montréalaise : Palimpseste sur « Prison » de Robert Lapoujade (2021). Une programmation imaginée par Sylvano Santini, professeur de littérature à l’Université du Québec à Montréal.

Triptyque 2 de Pierre Hébert

Les deux courts métrages de Pierre Hébert comportent des fulgurances animées obtenues par grattage de pellicule, une technique que le cinéaste expérimente depuis le milieu des années 1980. Dans Triptyque 2 (2012), l’écran scindé en trois correspond aux trois écrans sur lesquels étaient initialement projetées les images d’une performance d’improvisation présentée en mai 2011 à la Stadtkirche de Vienne. Mise en musique par le compositeur Andrea Martignoni, elle incluait des exécutions en direct de gravures sur pellicule et d’expérimentations numériques. Triptyque 2 propose donc un « remix » (c’est ainsi que le qualifie le réalisateur) de cette performance, avec en complément des rajouts animés effectués en atelier. Les images magmatiques et grouillantes déployées sur trois écrans juxtaposés sont ainsi superposées par des formes chaotiques blanches, des coups de craie foudroyants qui se font et se défont tels des clignotements. Dans Palimpseste…, ce même principe s’applique à un court métrage déjà existant (le surréaliste Prison de Robert Lapoujade, 1962), donnant ainsi une dimension organique au film du peintre et cinéaste français.

Les deux courts métrages de Daïchi Saïto, quant à eux, constituent de véritables poèmes visuels et sonores visant à bouleverser notre perception sensorielle d’espaces naturels a priori familiers. Dans Trees of Syntax, Leaves of Axis (2009), Saïto utilise comme principal motif visuel les érables du Mont-Royal et dans Engram of Returning (2015), des océans, montagnes et fonds marins. Si les images du premier film ont bien été tournées par le cinéaste, celles du second ont été antérieurement produites de façon anonyme et sont ici réutilisées. Triturées au possible, elles s’enchaînent de manière frénétique dans un flux entrecoupé de flashs lumineux. Figuratives de prime abord, les images – soutenues par les accords improvisés du violoniste Malcolm Goldstein dans Trees of Syntax… et du saxophoniste Jason Sharp dans Engram of Returning – subissent de nombreuses manipulations qui leur conférent un caractère abstrait. Deux véritables expériences synesthésiques.

Quiet Zone de David Bryant, Karl Lemieux

Engram of Returning de Daïchi Saïto

Également cofondateur du collectif Double Négatif consacré à la production du cinéma expérimental, Karl Lemieux explore dans Quiet Zone (2015) et L’entre-deux (2014) la transformation du quotidien en une exploration cinématographique singulière. Co-réalisé avec David Bryant, membre du groupe Godspeed You! Black Emperor auquel collabore Lemieux, le premier film s’intéresse à des personnes atteintes d’hypersensibilité électromagnétique réfugiées autour de l’observatoire de Green Bank, dans le « National Radio Quiet Zone » (zone nationale de silence radio). Lemieux et Bryant filment leur quotidien en pleine ruralité et s’adonnent à diverses expérimentations formelles, en particulier la distorsion de la pellicule, dans l’optique de recréer leur vécu en tant que personnes souffrant de la présence envahissante de la technologie. Dans L’entre-deux, Lemieux propose une promenade en ville vue par un prisme inédit. Des passants, des bâtiments et des arbres, capturés par une caméra tremblante dans un noir et blanc somptueux, défilent sous nos yeux à une vitesse frénétique. Recourant à des longues expositions réalisées sur film 16mm, le cinéaste propose un regard alternatif sur la réalité par des moyens purement propres au cinéma.

Dernier film du programme, le court métrage Bye Bye Now de Louise Bourque (2022) est entièrement constitué d’images d’archive que la réalisatrice soumet à diverses expérimentations comme l’altération de la vitesse de visionnement. Elle s’attarde sur des extraits de films amateurs, montrant des individus dire bonjour, ou peut-être au revoir, en saluant la caméra de la main. Comme si les sujets saluaient directement le caméraman, le père de la réalisatrice, Jean-Claude Bourque, aujourd’hui décédé. Lui qui a tourné de nombreux films de famille dans les années 1950 et 1960 à l’aide d’une caméra 8mm et que sa fille a constamment réutilisé au cours de sa carrière. En remployant des extraits de ses films amateurs, la cinéaste rend un vibrant hommage à son père. Lumineux et touchant.

Image d'entête : Bye Bye Now de Louise Bourque [Qué., 2022, 08 min, 35 mm, SD]

Bye Bye Now de Louise Bourque