CinémaLéonard Forest : filmer l’Acadie au présent
Léonard Forest est le pionnier du cinéma acadien. Né en 1928, il est décédé au printemps dernier, laissant derrière lui une longue carrière de producteur et réalisateur menée à l’ONF. Nous lui rendons hommage en présentant la trilogie de films qu’il a consacrés à l’Acadie.
Né au Massachussetts de parents acadiens, Léonard Forest a grandi dès l’âge d’un an à Moncton au Nouveau-Brunswick. En 1953, il commence à travailler à l’ONF, dont il rejoint bientôt les studios basés à Montréal, au sein desquels il va mener une prolifique carrière et faire considérablement progresser la production française. Mais l’Acadie demeurera comme ligne de fuite dans son parcours : en plus de fonder le premier studio de production en Acadie, il revient aux sources en consacrant plusieurs films à l’identité acadienne.
Ses premiers courts métrages, réalisés au milieu des années 1950 et consacrés à la vie quotidienne, donnent à l’Acadie ses premières images. Parmi eux, Pêcheurs de Pomcoup dépeint la vie des pêcheurs dans le village de Pomcoup, aussi nommé Pubnico, à l’extrême pointe de la Nouvelle-Écosse. La mise en scène aux cadrages soignés témoigne déjà du penchant pour le lyrisme d’un cinéaste qui était également un poète accompli. Forest mêle par ailleurs documentaire et fiction, faisant des habitants les véritables interprètes de leur histoire, un procédé qu’il poussera plus avant encore dans La noce est pas finie.
En 1968, Forest tourne Les Acadiens de la dispersion, qui brosse un portrait au présent des Acadiens, de la Bretagne aux Provinces maritimes en passant par la Louisiane. Ce documentaire illustre ce qui est au cœur de la démarche de Forest : offrir une voix à un peuple qui en a été privé, en étant à l’écoute de ses récits, de sa compréhension de lui-même et de ses aspirations. On retrouvera cette captation de la parole de film en film : la voix, la langue, l’oralité, au service desquelles se mettent ici les images, se font le fil d’Ariane d’une identité éclatée, d’un peuple éparpillé et d’une histoire incertaine.
S’il se construit au gré des visages, des paysages et des témoignages, Les Acadiens de la dispersion est aussi et avant tout un film musical, dont le rythme suit celui des chorales religieuses et des chansons folkloriques – avec la jeune Édith Butler en tête. Le film préfigure ainsi en quelque sorte le travail qui sera effectué par Michel Brault et André Gladu dans Le son des Français d’Amérique (voir notre dossier thématique). Forest, en sa qualité de poète, est sensible à la façon dont le chant s’avère un outil de survie et de résistance, en gardant le présent vivant. En même temps, dans sa captation du folklore, il semble articuler la tension qui sous-tend l’existence acadienne, entre un passé écrasant et un avenir sans cesse à définir, entre un penchant nostalgique et un désir de vitalité.
Les deux films que Forest réalise au début des années 1970, La noce est pas finie et Un soleil pas comme ailleurs, actent quant à eux un vent de changement et l’esprit contestataire de l’époque. Le premier, réalisé dans le cadre du programme « Société nouvelle » (Challenge for change) de l’ONF, est une fiction scénarisée et conçue en collaboration étroite avec les participants du film, des citoyens de Gloucester, dans la région défavorisée de Caraquet-Shippagan au Nouveau Brunswick. En relatant l’irruption d’un jeune instituteur anticonformiste venu de la ville dans cette communauté acadienne isolée, l’intrigue se transforme en psychanalyse collective. Le film tisse ainsi une réflexion subtile sur l’onde de choc que peuvent provoquer la nouveauté, la modernité et le monde extérieur dans une société qui se sent déjà impuissante, précaire et vulnérable.
Un soleil pas comme ailleurs enfin marque un retour au documentaire et frappe par son dynamisme d’ensemble. Le film se fait le reflet de ce qu’il observe : l’avènement d’un militantisme local, les revendications d’une jeunesse, le rejet de la passivité, le sentiment de devoir trouver sa place dans un monde qui s’industrialise, se globalise et s’accélère (le monde de la pêche, tel qu’on le voyait dans Les pêcheurs de Pomcoup, est en plein bouleversement). Mais comme le chante néanmoins avec espoir Calixte Duguay à la fin du film, on assiste ici à « l’Acadie qui s’éveille », et à laquelle Forest rend justice grâce à la liberté et à la souplesse de son regard.
Avec la trilogie acadienne, le cinéma de Léonard Forest s’est fait outil de cohésion et de prise de conscience. En cherchant à fixer quelque part, sur pellicule, une mémoire du passé et une existence au présent, ses films ont offert aux Acadiens une halte dans leur errance en prenant généreusement la forme d’un temps d’arrêt, d’autoréflexion et de contemplation des possibles.
Pour approfondir à la Médiathèque :
Gérard Grugeau – Fêtes à répondre, 24 images n°130 (2006)
Rodrigue Jean – Réflexion sur des images oubliées, ibid.
Josette Déléas – Léonard Forest ou Le regard pionnier (1998)
Luc Chaput – L'œuvre de Léonard Forest: les aboiteaux de la mémoire, Séquences n°247 (2007)