CinémaLosey insaisissable
En 2009, j’assistais à l’ouverture d’une rétrospective Joseph Losey au British Film Institute et son fils venait y présenter la nouvelle restauration d’Accident. À cette époque, j’avais vu quelques incontournables du cinéaste : The Servant, à la faveur d’une rétrospective Dirk Bogarde illustrant un parcours atypique dans le cinéma européen des années 60-70 (Mort à Venise de Visconti, bien sûr, mais aussi Providence de Resnais, aux circonvolutions narratives fascinantes, sans parler de Fassbinder et le beau film malade Despair) ; The Go-Between, parce qu’il était souvent placé dans une liste des films qu’il fallait avoir vu avant de mourir et je l’avais trouvé néo-classique, au même titre que Le jardin des Finzi-Contini de De Sica, réalisé à la même époque ; enfin, La truite, puisque la Cinémathèque québécoise en conservait une copie 35mm et le montrait assez régulièrement. Son avant-dernier film, souvent considéré sans beaucoup de déférence, comme le sont souvent, hélas, les films tardifs, car la critique a la mémoire courte (voir Dreyer ou Bresson).
Je peux sincèrement dire qu’avant de découvrir Accident, puis Monsieur Klein, je ne comprenais strictement rien à la signature de Losey et à la singularité de son parcours. En cela, je goûtais assez peu ce qui me semble aujourd’hui sa force créative indéniable, sa capacité à se fondre dans les conditions de production les plus variées en demeurant hors-système, sans pour autant filmer en dehors du cadre de production industriel du cinéma, avec des acteurs de tout premier plan (Caine, Vitti) ou même des stars absolues (Taylor, Burton, Delon).
Nous aurions pu intituler ce cycle Losey, brouilleur de pistes. Il n’est pas attaché à une cinématographie nationale, il est quelque part entre les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’Italie et ne se cantonne pas dans un genre. Pourtant, plusieurs de ses films ont un même motif, lié au parcours de son personnage principal que l’on suit sans que l’intrigue en place nous indique où il va (…mais il y va, simplement le cinéaste ne nous donne pas les raisons de son parcours).
D’une certaine manière, on peut dire que le film Accident est exemplaire de cette façon de faire et il s’agit de l’un des rares films purement narratif, totalement fictionnel, dont je suis incapable d’anticiper les plans ni les actions. À force de voir des films, on ne devient pas devin mais on peut aisément saisir l’essence d’un style de telle sorte que la logique à l’œuvre dans l’enchainement des plans ne nous ménage plus tant de surprises. Typiquement, et même dans ses films ratés (je pense à Modestie Blaise que nous ne montrons pas, pochade contemporaine du Casino Royale première manière, avec Monica Vitti), ce motif revient avec insistance. Il y a là un plaisir de cinéma à l’état pur que goûtera le spectateur attentif à l’art de la mise en scène. Losey est ce cinéaste prodigieux, dissimulant ses effets comme son identité véritable. Le devenir l’intéresse, l’accident le passionne. À cela est forcément lié le trouble identitaire, menant au chef d’œuvre qu’est Monsieur Klein.