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CinémaMed Hondo, cinéaste de conviction

Apolline Caron-Ottavi
30 mai 2023
Med Hondo, cinéaste de conviction

Le parcours de cinéaste de Med Hondo n’a pas eu autant de visibilité à l’écran que sa carrière de doubleur en France, au cours de laquelle il a entre autres prêté sa voix à tout le gotha des acteurs afro-américains des années 1980 et 1990, Eddie Murphy en tête. Cette occupation professionnelle n’a pourtant été que très secondaire, alors qu’il constituait en parallèle une œuvre dont la dimension farouchement politique est servie par une approche tour à tour expérimentale, théâtrale, pamphlétaire, documentaire, fictionnelle…

Soleil Ô

Med Hondo grandit en Mauritanie, puis part étudier l’hôtellerie au Maroc avant d’émigrer en France, où il découvre la difficile réalité des immigrants. Tout en exerçant divers métiers, il entre à l’école dramatique et parvient à obtenir des rôles au théâtre, par exemple dans les pièces d’Aimé Césaire ou de LeRoi Jones, grâce à la solidarité qui se met en place entre acteurs d’origines africaines et antillaise. Mais le cinéma n’a encore rien à offrir aux acteurs noirs. Hondo y voit en revanche un moyen de dire ce qui bouillonne en lui, en évitant le caractère éphémère du théâtre. À défaut d’être devant, il se glisse donc derrière la caméra. Autodidacte, il est inspiré aussi bien par Glauber Rocha que par Chaplin, et bien sûr par le pionnier Sembène Ousmane.

Son premier long métrage, Soleil Ô, réalisé sans budget, est le miroir de sa propre expérience. Le cinéaste y relate le quotidien d’un immigré africain à Paris et, plus encore, sa prise de conscience politique et son désenchantement face à la réalité qu’il découvre : les emplois ingrats, le racisme et les stéréotypes, l’indifférence des syndicats et des dignitaires africains… Dès ce premier film, Hondo assoie sa réflexion sur les ramifications du colonialisme et affirme l’absence de compromis qui caractérise son cinéma: une approche audacieuse et unique mais se refusant à tout esthétisme ou complaisance, mise au service d’un récit acerbe qui appuie là où ça fait mal.

Les films suivants poursuivent ce travail de mise en scène de la colère, avec parfois un humour mordant. Les Bicots-nègres, vos voisins adopte ainsi parfois un ton volontairement didactique, comme dans sa scène d’ouverture, un long monologue de l’acteur sénégalais Bachir Touré sur l’importance de s’approprier la culture et le cinéma qui ont longtemps véhiculé une représentation coloniale. Le film prolonge les thèmes de Soleil Ô, en insistant sur la façon dont l’économie mondiale est le nerf de la guerre. Une séquence de collage soulignant la collusion entre dirigeants africains et européens fit ainsi scandale dans les rangs des chefs d’état africains.

West Indies ou les nègres marrons de la liberté, qui se penche cette fois sur l’histoire des Antilles et le commerce triangulaire, est peut-être le film de Hondo qui pousse le plus loin le tableau de la perpétuation de l’asservissement des peuples au nom du profit capitaliste. Le cinéaste a recours au théâtre filmé et même à la comédie musicale pour tisser les liens entre passé colonial et présent néocolonial. Le décor, la coque d’un bateau, crée une unité de lieu dans cette farce qui s’étend dans le temps mais dont la structure et les protagonistes restent plus ou moins les mêmes.

West indies ou les nègres marrons de la liberté

Polisario, un peuple en armes

Le cinéma de Med Hondo a ainsi volontairement quelque chose d’un pavé dans la mare, par sa frontalité et sa virulence. Comme s’il forçait le spectateur dans ses retranchements pour mieux lui répondre au premier levé de sourcil qu’aucun discours ne saurait être exagéré, caricatural ou provocateur face aux énormités de la période coloniale et du système impérialiste. Mais derrière ce côté pamphlétaire, Hondo cherche surtout à mettre en scène la parole, ou plutôt les paroles, de ceux qui n’ont pas voix au chapitre. La théâtralité, le commentaire, un chant ou un poème sont autant d’expressions et de disgressions qui rendent compte dans ses films d’expériences de vie.

C’est d’ailleurs cette importance du témoignage et cette multiplicité des points de vue qui sont au cœur de Polisario, un peuple en armes. Le film aborde l’oppression sous un autre angle en se penchant sur le combat du peuple sahraoui qui, après avoir subi la colonisation espagnole, s’est retrouvé pris en étau entre les volontés expansionnistes du Maroc et de la Mauritanie. Hondo prend ici fait et cause pour le Front Polisario, à travers une démarche purement documentaire, qui se concentre sobrement sur sa mission de témoignage. En plus de mettre des visages sur le cri d’un peuple, il rend compte en détail du contexte du conflit, des revendications d’autonomie et des observations des acteurs sur le terrain – dont les soldats marocains, mauritaniens et étrangers.

Dans les années 1980 et 1990, Hondo explore d’autres façons de raconter : il réalise une fresque historique (Sarraounia), un polar (Lumière noire), un drame social hip hop (Watani) et une tragédie romantique (Fatima). Il continue ainsi inlassablement de porter à l’écran les taches aveugles de l’Histoire (des massacres du passé aux séquelles du présent), en s’attachant à des personnages qui incarnent la possibilité d’une justice. La reine Sarraounia résiste à la folie des troupes coloniales, un migrant en voie d’expulsion est le témoin clé d’une bavure policière dans Lumière noire, tandis que Fatima, pourtant bafouée deux fois en tant qu’Algérienne et femme, parvient à refléter les espoirs d’une unité panafricaine dans ce qui sera l’ultime film de Med Hondo.

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Pour approfondir à la Médiathèque :
Med Hondo : un cinéaste rebelle – Livre d’entretiens par Ibrahima Signaté, 1994 → PN 1998 A3H604 S5

En-tête: photo d'Alain Renaud

Sarraounia