Année de sortie 2002
Durée 47 minutes
Générique accessible ici
Synopsis
Une biographie de Madeleine Parent qui retrace, avec elle, sa vie de militante, notamment à travers les luttes syndicales qu’elle a menées dans les années 1940 dans l’industrie du textile ainsi que sa confrontation légendaire avec le premier ministre du Québec, Maurice Duplessis.
Figure historique marquante au Québec et au Canada, Madeleine Parent est une femme d’extraordinaires conviction et détermination, ainsi qu’une fine stratège, qui a mobilisé les ouvrières au bas de l’échelle sur plusieurs décennies. Acclamée par les uns, honnie par les autres, cette visionnaire syndicaliste et féministe a été à l’avant-garde de tous les combats tant pour soutenir les femmes autochtones et les femmes immigrées que pour dénoncer les injustices liées à la mondialisation.
Madeleine Parent, cette pionnière et figure de proue du syndicalisme au Québec et au Canada, n’a jamais cherché les feux de la rampe, même si Duplessis n’a eu de cesse de braquer les projecteurs sur elle et son compagnon de vie et de lutte, Ken Rowley, dans les années d’après-guerre. Son histoire est pourtant exceptionnelle : peu de gens au Québec peuvent se vanter d’avoir résolument tenu tête au fameux premier ministre et d’avoir subi un procès pour conspiration séditieuse comme c’est le cas pour Madeleine.
Difficile de soupçonner que derrière cette personnalité réservée et cette voix de velours, qui la démarque des grandes gueules (masculines, il va de soi) du syndicalisme qu’on connait davantage, se cache une militante visionnaire, une habile stratège féministe et de gauche, doublée d’un esprit d’analyse aiguisé, une femme qui a eu le courage de ses convictions et refusé de suivre le courant, en le payant parfois chèrement.
En 1999, une collègue de Toronto, Judith Murray, m’a contactée en en me demandant si j’accepterais de filmer Madeleine Parent, alors âgée de 82 ans, afin de conserver son histoire pour la postérité. C’est ainsi qu’au cours de quatre après-midis émouvantes, j’ai eu le privilège d’entendre Madeleine raconter les évènements de sa vie qu’elle voulait consigner à l’Histoire. Elle nous livrait en quelque sorte son testament en une douzaine d’heures. Par la suite, la productrice Monique Simard a contacté un télédiffuseur afin de produire une émission de 45 minutes sur Madeleine. Ainsi est né Madeleine Parent, tisserande de solidarité à partir d’un tournage initialement destiné à de l’archivage, ce qui n’est pas sans poser certains défis de réalisation surtout avec un budget restreint. Madeleine a été partie prenante des difficiles choix de contenu pour ce récit biographique. Fort heureusement, il sera bientôt possible d’avoir accès aux entrevues inédites dans un dossier consacré à Madeleine Parent ici même sur le site des Collections de la Cinémathèque.
Comment résumer l’action de Madeleine? Sinon dire qu’elle a dirigé des grèves très dures qui ont marqué l’histoire du Québec et qu’elle aura défié bien des tabous de son époque y compris celui de divorcer, objet de scandale pour une femme à l’époque. Mais rien n’arrête cette dame de fer à la voix de velours, rare figure féminine dans un mouvement syndical presque entièrement masculin, comme en témoignent certaines photos d’époque dans le film. Une femme avec une pensée singulière qui s’est impliquée dans de grandes organisations syndicales et féministes tant au Québec qu’au Canada, qui a jeté des ponts entre les 2 solitudes en endossant à la fois les nationalismes québécois et canadien, et avec la toute première solitude, les peuples autochtones. Il est fort judicieux qu’un pont ait été nommé en son honneur après son décès!
Une femme de grand courage surtout qui se portera inlassablement à la défense des plus démuni.e.s, ouvrières du textile ou immigrantes, et qui, dès les années 1960, soutient vigoureusement les luttes de femmes autochtones et dénonce le racisme. Une femme inspirante qui mérite une grande place dans nos livres d’histoire.
MADELEINE PARENT, TISSERANDE DE SOLIDARITÉS
Le film Madeleine Parent, tisserande de solidarités fait revivre cinq décennies de luttes syndicales et féministes menées par Madeleine Parent (1918-2012) au Québec et en Ontario. Sophie Bissonnette nous amène à sa rencontre à travers le témoignage même de Madeleine Parent qui raconte les luttes importantes auxquelles elle a participé, alors que le choix des images d’archives illustre les contextes dans lesquels elle a mené ses combats. Le documentaire nous fait également découvrir cette femme exceptionnelle et engagée à travers les commentaires de personnes l’ayant côtoyée et admirée.
Icône du mouvement syndical, c’est auprès des travailleuses du textile que Madeleine Parent a d’abord mené son combat féministe. Dès ses premiers engagements dans le syndicalisme, elle s’est préoccupée de la condition des femmes. Dans une scène particulièrement touchante du film, une ancienne ouvrière du textile la reçoit avec émotion chez elle et elles évoquent les luttes qu’elles ont menées. Lors de la grève du textile de Valleyfield (1946), Madeleine Parent constate à quel point celles-ci occupent les emplois les moins bien payés et vivent une oppression spécifique en tant que femmes : non seulement leurs salaires sont inférieurs à ceux de leurs collègues masculins, mais plus souvent qu’autrement elles mènent de front le travail à l’usine et le travail domestique, et parfois elles doivent même amener leurs enfants à l’usine avec elles.
Pendant les années 1940, elle s’est attiré les foudres de l’Église catholique et du Premier ministre Maurice Duplessis, bien déterminés à étouffer les mouvements pour la justice sociale et, en particulier, les syndicats revendicatifs, en se servant du communisme comme épouvantail et pour justifier ses actions. En 1967, elle quitte le Québec pour rejoindre son mari, Kent Rowley, en Ontario. Elle y poursuit son travail d’organisatrice dans les secteurs où la main-d’œuvre féminine est bien présente au moment où on assiste à l’émergence du mouvement des femmes. Madeleine Parent se montre particulièrement concernée par la situation des travailleuses immigrantes. Elle mène des grèves dans les manufactures de cadres Artistic Woodwork et de biscuits Dare qui emploient un nombre important de femmes issues de différentes communautés culturelles.
En 1971, un groupe de féministes, dont Madeleine, fonde le Comité canadien d’action sur le statut de la femme (CCA) pour mettre en application les recommandations de la Commission royale d’enquête sur la condition féminine (Commission Bird). Deux causes en particulier lui tiennent à cœur : l’équité salariale, qui va plus loin que la simple égalité, et le sort des femmes autochtones qui luttent pour les droits des femmes des réserves qui épousent des non-autochtones.
À son retour au Québec en 1983, Madeleine Parent s’y affirme comme féministe et poursuit son militantisme sur plusieurs fronts. Elle s’engage dans la Fédération des femmes du Québec et, comme au CCA, elle appuie l’Association des femmes autochtones et encourage le dialogue entre les militantes des deux organisations. Elle s’associe aux revendications des femmes venues d’ailleurs et sera active dans l’Association des femmes du Sud-Est-asiatique et dans le Centre des travailleurs et des travailleuses immigrées.
L’avortement joue un rôle clef dans le développement du féminisme des années 1970-1980. Le choix de décider si et quand on veut des enfants suscite une forte prise de conscience pour les femmes. Après des années de luttes, l’avortement est décriminalisé au Canada en 1988. Mais un an plus tard éclate ce qu’on a appelé « l’Affaire Chantal Daigle » du nom de cette femme dont le conjoint s’oppose à ce qu’elle interrompe sa grossesse. Madeleine haranguera les milliers de manifestant.e.s descendus dans la rue pour réclamer le droit des femmes à disposer seules de leur corps.
Madeleine n’a jamais limité son militantisme à une seule cause et lors du référendum de 1980 sur le projet de souveraineté du Québec, elle se prononce pour le Oui à la grande stupéfaction de ses collègues des autres provinces canadiennes. Elle consacre toutefois toute son énergie de nouvelle retraitée au mouvement féministe dont les objectifs évoluent avec le temps. Si les droits personnels, comme celui à l’avortement, sont acquis, la situation économique des femmes demeure inférieure à celle des hommes, et ce malgré la loi sur l’équité salariale. Quand la FFQ, sous la présidence de Françoise David, lance la Marche du pain et des roses en 1995 pour dénoncer la pauvreté des femmes et la violence qu’elles subissent, Madeleine est en première ligne. Cinq ans plus tard, elle sera là aussi à la Marche mondiale des femmes. Il est fort à propos que Sophie Bissonnette ait choisi dans son film de demander à Madeleine Parent de se raconter à Françoise David comme si l’une passait le flambeau à la suivante.
Atteinte de la maladie de Parkinson dans les années 1990, Madeleine Parent ralentit son rythme, mais ne demeure pas inactive : elle garde son sens critique, lit trois ou quatre journaux par jour, lance et signe des pétitions, interpelle politiciens et politiciennes et donne son opinion sur tous les sujets de l’heure. Dans ses autres combats, elle apporte sa sensibilité féministe, par exemple contre le libre-échange ou la guerre en Irak, n’hésitant pas, malgré son âge avancé, à s’adresser à la foule debout dans la benne d’un camion par un froid glacial. Sans relâche, elle soulèvera les conséquences pour les femmes des décisions politiques et économiques de portée nationale et internationale.
RÉFÉRENCES
Baillargeon, Denyse, Histoire du Syndicat des ouvriers unis des textiles d’Amérique de 1942 à 1952, mémoire de maitrise, Université de Montréal, 1981.
Lacelle, Nicole, Entretiens avec Madeleine Parent et Lea Roback, Montréal, Éditions du Remue-Ménage, 1988.
Lévesque, Andrée, Madeleine Parent, militante, Montréal, Éditions du Remue-Ménage, 2003.
Palmer, Bryan, « Madeleine Parent (1918-2012) », Labour/Le Travail, no 70, automne 2012, p. 187-202.
Parent, Madeleine, « Interview with Madeleine Parent », Studies in Political Economy, vol. 30, no 1, 1988, p.13-36.
Salutin, Rick, Kent Rowley. The Organiser : A Canadian Union Life, James Lorimer, 1980. Traduction : Kent Rowley. Une vie pour le mouvement ouvrier, Montréal, Saint-Martin, 1982.