Année de sortie 1997
Durée 52 min 30 sec
Format 16 mm
Générique accessible ici
Synopsis
Célébration de la naissance et de la force des femmes, PRES DE NOUS ouvre les portes d'une maison de naissance pour y découvrir l'approche et la pratique des sages-femmes au Québec.
Tourné en 1995 à la Maison de naissance Côte-des-Neiges à Montréal, avec l’équipe de sages-femmes dont Isabelle Brabant, le film fait vivre, sur une période d’un an, l’accompagnement des sages-femmes avec des femmes enceintes et leur famille tout au long de la grossesse et de l’accouchement.
À travers des séquences d’une grande intimité prises sur le vif, que ce soit les rencontres prénatales individuelles ou en groupe, ou encore les réunions d’équipe, on découvre le travail et les préoccupations des sages-femmes, ainsi que les craintes et les espoirs des futurs parents. Enfin, on assiste aux accouchements et aux premiers instants d’émerveillement au contact d’un nouveau-né.
La lutte des sages-femmes et des parents pour l’humanisation de la naissance et pour la reconnaissance de la pratique des sages-femmes au Québec aura duré près de 25 ans et elle témoigne du courage et de la persévérance - et de l’infinie patience - des femmes.
Comme d’autres mères dans les années 1980, j’ai accouché de mes 2 enfants accompagnée par une sage-femme, dans la clandestinité, avant la (re)légalisation de la pratique. Ma fille est née à la maison sous les yeux ébahis de son frère et a passé sa première nuit enlacée par son père et sa mère dans le grand lit du foyer familial.
Saisissant l’occasion de l’instauration des projets pilotes de maisons de naissance, j’ai voulu avec Près de nous partager mon enthousiasme pour une approche globale et respectueuse des processus naturels par rapport à la grossesse et l’accouchement, et qui intègre toutes les dimensions qu’impliquent la mise au monde d’un enfant et le fait de devenir parent. Une conviction partagée que les femmes sont compétentes en matière d’accouchement et qu’à travers cette expérience elles peuvent découvrir en elles des forces insoupçonnées. Une envie aussi d’aborder ce tournant bouleversant de la vie qu’est la maternité. Autant la lutte pour l’avortement a cristallisé les aspirations des Québécoises dans les années 1970 avec le slogan « Nous aurons les enfants que nous voulons », autant le choix du lieu et de la manière d’accoucher participe à une même logique: se réapproprier un pouvoir qui est inscrit dans le corps-même des femmes.
Pour plonger au cœur du sujet, pendant plusieurs mois je deviens une habituée de la maison de naissance, assistant aux rencontres avec les parents, mais aussi aux réunions internes de l’équipe de sages-femmes, avant d’identifier 3 familles qui acceptent d’être filmées. Le tournage sera prenant, d’autant plus avec des enfants en bas âge à la maison, et il s’échelonnera sur plus d’un an. Dans la lignée du cinéma direct, je suis les principales protagonistes à travers les aléas d’une grossesse, d’un accouchement et des premiers mois avec un bébé. Comme les sages-femmes, je suis sur appel avec le caméraman pour les accouchements. Plus la production avance, plus je touche à l’authenticité du vécu des familles, et plus l’émotion est palpable. J’observe une fois de plus combien le facteur temps fait souvent toute la différence en documentaire.
Mais le film aurait pu s’intituler Trois naissances et un enterrement. En effet Près de nous n’est pas le film rêvé et prévu. Je mets fin au tournage après 52 jours et la captation de scènes d’une grande intimité sur l’expérience post-natale et le devenir mère. Je constate que je suis en train de mettre au monde non pas un film, mais des triplets. Malheureusement les bailleurs de fonds s’en tiennent à l’entente initiale, je dois me résoudre à livrer un film d’une heure.
Je finalise donc le montage de Près de nous qui rend bien compte de l’approche des sages-femmes et de leur accompagnement bienveillant, mais qui ne rend pas justice à l’expérience que j’ai vécue et à la force du matériel tourné avec les parents. Un deuil difficile à vivre pour moi, comme pour tant de cinéastes dont les scénarios demeurent dans un tiroir ou les œuvres inachevées. Je m’interroge aussi sur la réticence des bailleurs de fonds qui fait écho à un manque d’intérêt qui m’apparait plus généralisé : j’ai le sentiment en touchant à la maternité, au travail de reproduction et au « caring », d’aborder le continent méconnu, la révolution inachevée du féminisme.
Sophie Bissonnette en conversation avec Julia Minne sur le film Près de nous.
PRÈS DE NOUS
Dans son film Près de nous, Sophie Bissonnette présente, avec grande sensibilité et réalisme, la vie quotidienne à la Maison de naissance Côte-des-Neiges à Montréal au moment où la pratique des sages-femmes est enfin autorisée au Québec dans le cadre de projets pilotes. Le film nous introduit aux pratiques d’accompagnement personnalisées et globales des sages-femmes dont l’approche particulière est fondée sur la capacité des femmes à jouer un rôle actif lors de l’accouchement et sur le lien de confiance établi avec les parents dans la joie partagée de l’attente et de l’arrivée au monde d’un enfant. Notamment, on y voit à l’œuvre une figure bien connue, la sage-femme Isabelle Brabant, une militante très active des premières heures pour la reconnaissance de la profession au Québec.
Les projets pilotes des maisons de naissance ont ramené les sages-femmes dans la vie des Québécoises après que celles-ci aient été longtemps mises à l’écart. Au Québec, faut-il le rappeler, la future mère accouchait au XIXe siècle en compagnie de personnes de son entourage et avec l’aide d’une sage-femme qui disposait d’un statut officiel. Avec la progression numérique des médecins et leur professionnalisation, les sages-femmes ont peu à peu été éliminées à titre de praticiennes autonomes, même si la corporation des médecins tolérait les sages-femmes locales ou des infirmières diplômées qui, dans le cadre de l’entraide, assistaient des femmes dans les campagnes ou les régions éloignées où n’exerçait aucun médecin. À partir des années 1950 cependant, la médicalisation s’est intensifiée lorsque l’hôpital s’est imposé comme lieu quasi exclusif de l’accouchement, alors que la plupart des médecins refusent de pratiquer des accouchements au domicile de leurs clientes et que l’application de mesures gouvernementales encourage les femmes à « choisir » l’hôpital.
Durant les années 1970 et 1980, plusieurs Québécoises, encouragées par une affirmation féministe sans précédent, jugent sévèrement les conséquences humaines et sociales entraînées par de tels changements : une augmentation substantielle de pratiques médicales abusives et de certaines interventions obstétricales comme la césarienne, la mise à l’écart du père, la séparation mère-enfant après la naissance, et la perte de confiance des mères dans leur capacité d’accoucher par elles-mêmes. Elles considèrent que la surmédicalisation de l’acte de naissance et sa dépersonnalisation entraînent un déficit d’humanité et une perte d’autonomie pour les femmes. Sous l’impulsion de l’important mouvement pour la santé des femmes, une floraison d’associations citoyennes vouées à l’humanisation de la naissance voit le jour. Dans le but d’accroître leur force, elles se rassembleront en 1981 au sein de l’organisme, le Regroupement Naissance-Renaissance (RNR).
Ces décennies sont fertiles en actions destinées à sensibiliser les gouvernements à la volonté des femmes d’améliorer les conditions de l’accouchement et de retrouver une part de leur autonomie perdue en raison, notamment, de l’emprise croissante de la technologie. L’intégration dans le système de santé de sages-femmes professionnelles est dès lors considérée comme un axe d’action privilégié. D’autant qu’à l’époque, plusieurs militantes qui avaient choisi d’accoucher chez elles avec l’aide de l’une des rares sages-femmes (aux formations variées) qui pratiquaient, sans être reconnues par la loi, pouvaient témoigner que l’accompagnement d’une sage-femme constituait une réelle alternative au modèle médicalisé et dépersonnalisé pratiqué dans les hôpitaux. En dehors des considérations propres à chacune, ces femmes partageaient le désir de mettre au monde leur enfant dans un environnement familier (où elles avaient leur mot à dire !), par leurs propres forces et entourées de personnes connues et choisies.
L’engagement des militantes amène une première victoire en 1990 avec l’adoption de la Loi sur la pratique des sages-femmes dans le cadre de projets-pilotes. Il s’agit d’une avancée des plus importantes considérant qu’elle demandait de surmonter la farouche opposition des médecins. Aussi, entre 1990 et 1997, huit maisons de naissance établies dans différentes régions du Québec, dont la Maison de naissance de Côte-des-Neiges, serviront de cadre à l’expérimentation officielle de la pratique des sages-femmes. Une mise à l’épreuve qui s’avèrera concluante puisque la profession de sage-femme sera légalisée le 19 juin 1999 par l’adoption de la Loi sur les sages-femmes. Un programme de formation est également mis sur pied à l’Université du Québec à Trois-Rivières.
Près de nous ouvre également une fenêtre sur un aspect qui s’avèrera déterminant pour la pérennité de la pratique des sages-femmes : l’engouement et la passion des parents qui œuvreront bénévolement, parfois durant plusieurs années, au sein de leur maison de naissance, y organisant diverses activités. D’autres parents deviendront des militants actifs en rejoignant des organismes tels que le Groupe MAMAN, Mouvement pour l’autonomie dans la maternité et pour l’accouchement naturel.
Par-delà sa pertinence historique, Près de nous est aussi un outil des plus utiles pour apprécier le chemin parcouru depuis l’avènement des premières maisons de naissance durant les années 1990 et rappeler la philosophie de la pratique de la profession qui a animé cette émergence. Vu sous l’angle des relations entre médecins et sages-femmes, Près de nous montre par ailleurs une histoire toujours en cours. Même si les rapports se sont améliorés depuis les années 1990, les sages-femmes ont dû constamment contrebalancer la résistance plus ou moins sourde de médecins ou de groupes de médecins à l’implantation de nouvelles maisons de naissance et plus globalement à la pratique des sages-femmes en dehors des hôpitaux.
RÉFÉRENCES
Livres et articles
Brabant, Isabelle, Une naissance heureuse : bien vivre sa grossesse et son accouchement. Éditions Fidès, 1991, réédité en 2013.
Grégoire, Lysane et Stéphanie St-Amant (dir.), Au cœur de la naissance. Témoignages et réflexions sur l’accouchement, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2004.
Lorrain, Roxanne, « La participation et l’action militante des comités de parents à travers l’évolution sociohistorique des maisons de naissance québécoises, » Reflets, vol. 23, no 1, printemps 2017, p. 174–200. https://doi.org/10.7202/1040753ar
Rivard, Andrée, Histoire de l’accouchement dans un Québec moderne, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2014.
Rousseau, Nicole et Johanne Daigle. Infirmières de colonie. Soins et médicalisation dans les régions du Québec, 1932-1972, Québec, Presses de l’Université Laval, 2013.
Saillant, Francine et Michel O’Neill (dir.), Accoucher autrement : Repères historiques, sociaux, culturels de la grossesse et de l’accouchement au Québec, Montréal, Éditions Saint-Martin, 1987. http://classiques.uqac.ca/contemporains/saillant_francine/accoucher_autrement/accoucher_autrement.html
Sites Web
Groupe MAMAN – Mouvement pour l’autonomie dans la maternité et pour l’accouchement naturel. http://www.groupemaman.org/fr/index.php https://www.facebook.com/groupemaman/ Maternité et féminisme (groupe privé des membres du Groupe MAMAN) : https://www.facebook.com/groups/705099432919240/
Ordre des sages-femmes du Québec. http://www.osfq.org/quest-ce-quune-sage-femme/historique/
Regroupement Les sages-femmes du Québec (RSFQ) : philosophie de pratique des sages-femmes adoptée en 1997. https://www.rsfq.qc.ca/a-propos/#notre-philosophie
Regroupement Naissance-Renaissance. http://naissance-renaissance.qc.ca/ https: //www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=2687210451321640&id=148915451817832
Document audiovisuel
Van Brabant, Sylvie, Serge Giguère et Louise Dugal, Depuis que le monde est monde, film, 64 min., 1981. https://www.rapideblanc.ca/#/DQMM