Année de sortie 2007
Durée 35 min 27 sec
Générique accessible ici
Synopsis
Le film s’intéresse au phénomène d’hypersexualisation dans les années 2000 alors que les spécialistes du marketing et les médias bombardent une clientèle de plus en plus jeune d’images à caractère sexuel dans les vidéoclips, la publicité, la mode vestimentaire ou les émissions télévisuelles.
À travers les réflexions de spécialistes et d’adolescentes, le documentaire dénonce la culture toxique créée par la recherche du profit et le sexisme ainsi que les conséquences néfastes sur le développement des jeunes : une faible estime de soi pour les filles, traitées comme des objets sexuels et valorisées surtout pour leur apparence tandis que les garçons sont encouragés à cultiver une image de machos et à nier leur vulnérabilité. Plusieurs jeunes, exposés prématurément à une représentation dégradante de la sexualité, puisent également leurs modèles dans la pornographie sur internet.
Le film invite à développer l’esprit critique des jeunes et à se mobiliser, individuellement et collectivement.
Prix UNICEF au Concours du prix Japon 2008
Prix « Advocacy » des YWCA du Canada 2008
Finaliste du Prix des Médias d’Au-delà des frontières 2009
En 2005, le Y des femmes de Montréal m’invite à participer à un groupe de réflexion sur la sexualisation dans les médias, la publicité et la culture commerciale, un phénomène qui se répand de façon alarmante et qui affecte particulièrement les enfants et les jeunes. Mes enfants sont alors pré-adolescents, dans la tranche d’âge vulnérable visée par ces images sexistes et violentes. Je suis à même de constater l’offensive des entreprises et la culture toxique dans laquelle ils baignent : les revues pour fillettes avec des recettes sur comment faire une bonne pipe, les émissions de télé-réalité comme Occupation double et Loft Story visionnées en famille et au sommet des cotes d’écoute, le clavardage sur internet avec webcams où des jeunes exposent leur intimité, les poupées Bradz avec biberon et string pour enfants d’âge préscolaire …
Avec Sexy inc. Nos enfants sous influence, je souhaite inciter les adultes à assumer tant leur responsabilité personnelle, en engageant un dialogue avec les enfants et les jeunes sur ce phénomène, que leur responsabilité sociale en revendiquant que le développement des enfants et des jeunes soit respecté et préservé des pressions commerciales et des stéréotypes sexuels. Un film réalisé donc dans une perspective critique afin de contribuer à un débat social pour dénoncer les intérêts économiques derrière ce phénomène et en démontrer les conséquences inquiétantes sur le développement des jeunes et sur les rapports hommes-femmes.
Pour faire la démonstration, je ferai appel autant à des experts en psychologie et en sexologie qu’à des professionnel.le.s et des intervenant.e.s dans les milieux fréquentés par les jeunes. Il m’importe également de donner la parole aux jeunes sur le sujet, car ces préadolescent.e.s ne sont pas dupes du phénomène. Toutefois, le travail de recherche et réalisation me confronte quotidiennement à ces images sexualisées envahissantes, une plongée que je trouve pénible dans cette culture malsaine qui s’inspire des codes violents de la pornographie. Comme bien des parents, parfois on aimerait mieux pas savoir…
Le phénomène d’hypersexualisation m’interpelle d’autant plus que j’ai fait partie de la génération de femmes qui ont revendiqué le droit à une sexualité libre et consentie, et au plaisir féminin, afin d’être un véritable sujet dans notre rapport au corps, à l’amour, à la sexualité et à l’intimité, dans le respect de soi et des autres. Trois décennies plus tard, j’ai le sentiment d’assister à un hijacking, ou à un détournement des objectifs de libération sexuelle des années 1970-80, alors que les pornocrates et des intérêts économiques récupèrent ce désir et imposent leurs codes et la marchandisation du corps. Fort heureusement, cette objectification du corps des femmes et la culture du viol à laquelle elle participe sera dénoncée haut et fort quelques années plus tard dans la foulée du mouvement #MeToo.
Sexy inc. Nos enfants sous influence est un des grands succès de distribution de l’ONF, il a été beaucoup vu et a généré de nombreuses discussions. Le film est accompagné d’un guide d’animation produit par le projet « Outiller les jeunes face à l’hypersexualisation » des Services à la collectivité à l’UQAM.
Sophie Bissonnette en conversation avec Julia Minne sur le film Sexy Inc. Nos enfants sous influence.
Comptant parmi les œuvres dont on peut regretter qu’elles demeurent si longtemps d’actualité, le documentaire Sexy inc. Nos enfants sous influence conserve toute sa pertinence sociale quinze ans plus tard. Il expose la sexualisation outrancière de notre environnement socioculturel qui passe tant par l’érotisation de l’enfance à des fins de marketing que par la consommation de matériel pornographique avant même l’adolescence. Autant de problèmes persistants, au Québec comme dans de nombreux autres pays, significativement mis en lumière par le film. Ayant contribué à sa production à titre de recherchiste, je le précise dans un souci de transparence, je me réjouis d’autant plus de la brillante trajectoire de Sexy Inc., qui a été abondamment vu et discuté. Pour être désormais largement reconnus, les multiples enjeux qu’aborde le film n’en demeurent pas moins complexes et matière à débats, incluant parmi les féministes.
Les effets néfastes d’un faisceau de problèmes
S’appuyant sur leur expertise sur le terrain ou en recherche, spécialistes et intervenantes se succèdent dans Sexy inc. pour apporter des éléments de réponse à la question principale du film : quels sont les effets sur les enfants de la prolifération de messages rattachés au phénomène d’hypersexualisation et avec quelles conséquences sur le développement des filles, mais aussi des garçons, en termes de construction identitaire, de rapport au corps et à la sexualité ?
Le phénomène d’hypersexualisation réfère à l’attribution d’un caractère sexuel à un comportement, une situation ou à un produit qui n’en a pas a priori. Par exemple, quand une publicité montre une femme au bord de l’orgasme alors qu’elle se lave les cheveux ou quand tous les prétextes culturels sont utilisés pour objectifier les femmes, à grand renfort de stéréotypes sexistes et de codes empruntés à la pornographie. De tels messages construisent des normes de beauté et de séduction, en plus de participer à l’exclusion et à l’exploitation des femmes.
Sous ce rapport, le faisceau de problèmes qu’évoque le film tient davantage de la violence et des rapports de pouvoir que de la sexualité. Outre les divers troubles de santé mentale auxquels un nombre important de filles fait face, notamment en lien avec leur image corporelle, il faut rappeler la forte prévalence de la violence sexuelle dont elles sont les cibles. Au Québec, on rapporte en 2015 que les enfants âgés de 17 ans et moins représentent la moitié des victimes d’agression sexuelle, et les filles s’avèrent deux fois plus souvent victimisées que les garçons 1. Si ce type de maltraitance se produit pour un ensemble de raisons, des études permettent d’établir certaines corrélations avec l’exposition à des messages qui véhiculent des représentations misogynes. Entre autres, la consommation de pornographie, fréquente chez les garçons, augmente la probabilité qu’ils posent des gestes de harcèlement et d’agression sexuelle 2.
L’une des grandes lignes de force du propos de Sexy inc. est de mettre au jour les ressorts économiques des multiples facettes de l’hypersexualisation. S’appuyant sur divers exemples de produits de consommation et de divertissement, le film montre comment les enfants, en particulier les filles d’âge préadolescent, constituent un marché très prisé par certains secteurs d’activité. La publicité et l’industrie culturelle sont identifiées comme les vecteurs importants d’une tendance à érotiser l’enfance. Plusieurs spécialistes considèrent la sexualisation précoce des filles comme une forme de violence et, tel que le formule l’une des intervenantes dans le film, comme un mécanisme de contrôle social des femmes, une volonté très ancienne de les maintenir à leur place d’objet de la sexualité. En donnant la parole aux principales intéressées, Sexy inc. restitue aux adolescentes leur qualité de sujet.
À la recherche du girl power
Les jeunes filles à qui Sophie Bissonnette tend le micro critiquent et décodent avec humour les contenus sexualisés auxquelles elles sont ultras exposées et qui les divertissent. Certaines perspectives féministes suggèrent d’ailleurs que les femmes peuvent retirer du pouvoir de leur (auto)représentation hypersexualisée. Il importe de souligner que la sexualité n’est pas qu’un lieu de danger et peut favoriser l’affirmation de soi. Voilà bien ce que la plupart des féministes revendiquent depuis longtemps, à tout le moins en Occident : le droit des femmes d’être désirantes et pleinement souveraines de leur corps. De telles revendications s’avèrent de plus en plus visibles, alors que le féminisme a essaimé parmi la génération millénariale et connaît actuellement un fort regain de popularité, comparativement au début des années 2000.
Tout en reconnaissant la capacité de certaines filles à résister aux stratégies de marketing tablant sur l’hypersexualisation, comment faire fi de leurs effets néfastes tels qu’évoqués dans Sexy inc. ? Les spécialistes interviewées soulignent l’importance de mieux outiller les jeunes pour contrer les conséquences négatives de l’hypersexualisation. Quinze ans après la sortie de Sexy inc., l’éducation au consentement et aux relations égalitaires apparaît à la fois comme le minimum à enseigner dès le plus jeune âge et comme un défi qui reste à relever. Le propos suggère l’importance de miser aussi sur l’acquisition d’un esprit critique, ainsi que sur l’éducation aux médias et aux images, particulièrement en contexte numérique. Le documentaire livre ainsi autant de précieuses clés de compréhension que des pistes d’action à mettre en œuvre aux niveaux sociétal et familial. En dépit des divergences d’opinion sur le sujet de l’hypersexualisation, on peut penser que tout le monde s’accorde pour souhaiter que les filles grandissent en construisant leur identité moins sur leur potentiel de séduction que sur leur capacité intellectuelle et leur autonomie relationnelle.
RÉFÉRENCES
Goldfarb, Lilia, « Réflexion sur les liens entre la sexualisation précoce des filles et la violence », Les cahiers de la femme, vol.25, no 1/2, Hiver/Printemps 2006, p.54
Lamb, Sharon et Lyn Mikel Brown. Packaging Girlhood. Rescuing Our Daughters from Marketers’ Schemes, New York, St. Martin’s Press, 2007
Réseau québécois d’action pour la santé des femmes, « Hypersexualisation des jeunes filles : conséquences et pistes d’action », Actes du colloque Le marché de la beauté, un enjeu de santé publique, Montréal, 23-24 novembre 2006. http://rqasf.qc.ca/files/actes-colloque_hypersexualisation_0.pdf
Réseau d’action des femmes handicapées du Canada. DAWN Canada, « Estime de soi et image corporelle », Filles sans barrières - Analyse intersectionnelle sur les filles et jeunes femmes en situation de handicap au Canada, 2020, pp. 74-85. https://dawncanada.net/media/uploads/page_data/page-64/filles_sans_barri%C3%A8res.pdf
Y des femmes de Montréal, Capsules vidéo sur l’hypersexualisation, réalisées par Ève Lamont. https://capsule.ydesfemmesmtl.org/
Pour aller plus loin :
Boulebsol, Carole et Lilia Goldfarb, Colonisation et sexualisation des jeunes filles, IREF, collection agora, No 5, 2013. https://iref.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/56/2020/02/IREF_Agora_5_2013_dynamique.pdf#page=27
Caron, Caroline, Vues, mais non entendues. Les adolescentes québécoises et l’hypersexualisation, Québec, Presses de l’Université Laval, 2014.
- 1
Ministère de la Sécurité publique. (2017). Infractions sexuelles au Québec en 2015. Gouvernement du Québec ; Institut national de santé publique. (2019). Trousse média sur les agressions sexuelles. ↩
- 2
Je renvoie notamment à une enquête menée par l’équipe de la professeure Francine Lavoie dans 4 écoles secondaires de Québec, selon laquelle 85 % des garçons et 28 % des filles ont intentionnellement consommé de la pornographie sur internet au cours de la dernière année, plus d’un garçon sur dix presque chaque jour. « La pornographie, une école pour les adolescent.e.s ? - Capsule 5 ViRAJ 2016 ». https://www.viraj.ulaval.ca/fr/la-pornographie-une-cole-pour-les-adolescentes-capsule-5-viraj-2016 ↩