Hommage
Hommage, Luc Bourdon, 1993, 22 min.
Réalisation : Luc Bourdon
Narration : Gilles Arteau et Marie Cardinal
Avec des textes extraits des Cahiers du cinéma, numéro 458 et du Ciné-journal de Serge Daney
Montage : Michel Giroux
Produit avec l’assistance de PRIM vidéo
Parmi les vidéastes québécois dont les travaux abordent la fiction et la narration, Luc Bourdon est celui qui a mené la réflexion vidéographique la plus poussée sur le cinéma et la télévision, sur le destin des images à l’ère de la répétition et des simulacres et sur la place de la vidéo entre les deux piliers des images en mouvement. Vidéaste godardien, il est un admirateur de Wim Wenders et un vidéogramme comme Hommage (1993), qui est par ailleurs un hommage à Serge Daney le critique français de cinéma mort en juin 1992, en donne un exemple éloquent avec ses nombreux extraits de films comme Blow-up d’Antonioni, Le Dictateur de Chaplin et même un extrait de Shoah de Claude Lanzmann avec le fameux plan séquence du conducteur du train dont la locomotive entre en gare de Treblinka. Ce vidéogramme a d’abord été présenté comme installation à la galerie OBORO du 9 janvier au 14 février 1993, accompagné d’une autre intitulée Quinto que Bourdon avait d’abord présentée au centre d’artiste Obscure à Québec en 1992. La reproduction des extraits repiqués de vidéos de ces films et repris dans Hommage dénote une démarche analytique proche de celle de Godard dans Histoire(s) du cinéma. Réflexion sur le destin des images en mouvement, qu’elles défilent au grand écran ou qu’elles se forment sur le petit, « le karma des images est de renaître », peut-on lire dans Hommage ! Nous sommes à une époque dans laquelle les images circulent, mais ne naissent ni ne meurent plus et nous sommes pris dans ce cadre sans hors-champ où les images sont virtuellement là, toujours disponibles dans une mémoire improbable qui en constitue les limbes. Cette réflexion porte la nostalgie d’un état du cinéma qui n’existe plus et qui n’a peut-être jamais existé que dans l’imaginaire des cinéphiles. La nostalgie d’un pays imaginaire qui aurait existé et dont le cinéma fournissait les matériaux avant l’ère de la répétition. Car à l’ère de la répétition, des simulacres et des simulations, les images circulent plus allègrement du fait de leur déracinement, ce qui s’accentuera plus tard avec la numérisation et l’Internet.
The Story of Feniks and Abdullah
The Story of Feniks and Abdullah, Luc Bourdon, 1988, 18:35 min.
Scénario et realisation : Luc Bourdon
Musique composée et interprétée par Michel F. Coté
Avec les voix de Luc Bourdon et Vanessa Richards
Caméra : Luc Bourdon; Kate Craig
Son : Iain Macanulty
Montage : Joe Sarahan
Monté à Video In (Vancouver)
Mixé au Western Front (Vancouver)
Assistante à la production : Jane Ellison
Productrice : Kate Craig
Compagnie de production : Western Front
Luc Bourdon était plutôt prolifique dans les années 1980 alors qu’il produisait entres autres Reverse Letter (1984, couleur, 5 min.), Distance (1984, couleur, 5 min) co-réalisé avec François Girard, Say Cheese for a Trans-Canadian Look (1985, couleur, 17 min.) et Scheme Video (1984, couleur et noir et blanc, 21 min), tous deux co-réalisés avec Marc Paradis, Touei (1985, couleur, 4 min, 15 sec.), The story of Feniks and Abdullah (1988, couleur, 18 min, 30 sec.) un vidéogramme qui s’est mérité de nombreux éloges dont le Prix de la meilleure vidéo ex aequo avec Incidence of a Catastrophe de Gary Hill, au 17e Festival du nouveau cinéma et de la vidéo de Montréal en 1988, mais aussi à Tokyo et à Atlanta. Vidéogramme très réussi, il s’inspire du livre de Roland Barthes Fragments d’un discours amoureux dans une production réalisée lors d’une résidence d’artiste au Western Front à Vancouver. Bourdon montre son talent à réaliser des images évocatrices de solitude et d’attente, marques éminentes de la posture amoureuse, de la passion amoureuse caractérisée par un discours triste que sait porter cette vidéo. Magnifiquement construit par des plans presque vides où rien n’arrive sinon des choses quotidiennes ou banales, des mouvements minimaux, Bourdon arrive au degré zéro de la narration. Cette œuvre sur la difficulté de la communication fait entendre de nombreuses sonneries de téléphones, des répondeurs automatiques qui enregistrent les messages que laisse un amoureux inquiet ou déçu. Les sonorités un peu désagréables de ces outils de communication figurent les instruments de torture de l’amoureux. Une des belles scènes de ce vidéogramme est celle qui se passe à une table de café ; le plan est serré, nous ne voyons que la tasse de café, les mains, les cigarettes qu’on allume l’une après l’autre. Le montage travaille la temporalité par des sauts elliptiques rapides de l’image — des jump cuts — accentuant l’attente vaine. Le personnage principal, dont on ne voit que les mains, demeure anonyme pour signifier le caractère générique des syndromes de l’amour dans son versant douloureux : attente, solitude, absence, errance, mutisme. C’est un sentiment d’enfermement dans l’angoisse amoureuse, mélange de solitude et d’anticipation approchant la déception qui nous tenaille dans ce drame de l’amour éconduit. Chez ce vidéaste, le langage, l’écriture et la parole jouent un rôle important. Dans Feniks, l’amoureux se fait entendre par les messages qu’il laisse en anglais sur le répondeur de l’aimée avec un accent francophone notable ; des propos saupoudrés de quelques mots en français, suggérant qu’il se trouve doublement exilé, dans son pays – une situation d’exil intérieur que connaissent les Québécois au Canada – et par l’aimée qui ne répond pas. Il faut certes repérer la posture ironique dans cette œuvre réalisée en anglais à Vancouver à partir du livre d’un monstre sacré de la pensée française, Roland Barthes. Qui plus est, cette histoire d’amour impossible entre Feniks et Abdullah qui se déroule par messages interposés laissés sur des répondeurs fait penser au dialogue de sourds que se tiennent les deux solitudes canadiennes ? Il est difficile de répondre avec certitude, mais Bourdon semble aussi, par la bande, aborder un tel sujet.