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Image tirée de You Must Remember This, marshalore, 1979.

« You must Remember This » est exemplaire quant aux dimensions performatives et narratives propres aux travaux de femmes en vidéo. L’observation de soi et l’endossement de personae que l’on retrouve dans certaines œuvres narratives et de fiction, s’amalgament à la performativité de l’artiste en chanteuse.

You must Remember This

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You must Remember This, marshalore ¹, 1978-1979, 24:27 min.
Caméra : David Rahn, marshalore
Pianiste : Abe Lee
Chanteuse : marshalore

marshalore, Marsha Chuck de son vrai nom, est née en 1946 en Angleterre. Elle explique à Chantal Pontbriand comment elle a choisi son pseudonyme de marshalore : depuis sa naissance, dit-elle, il n’y a eu que des guerres dans le monde, tandis que son prénom, Marsha, est étymologiquement lié à Mars, le dieu romain de la guerre. Vers l’âge de 19 ans, elle décida d’ajouter le suffixe « lore » qui, en anglais, se rapporte aux traditions des groupes ou des peuples. Ainsi conclut-elle : « I chose Lore like in folklore which is a willingness to pass on information or tradition, and implies cooperation as well ². » Elle en avait déjà parlé à au moins une autre occasion dans une entrevue portant sur sa performance Another State of marshalore présentée en 1978 lors de la conférence Fifth Network/Cinquième réseau à Toronto. À un certain moment de la performance, on évoque la loi martiale, en anglais marshal law, ce qui présente une certaine homophonie avec son pseudonyme³.

marshalore commence à collaborer dès 1971 avec le compositeur et pianiste montréalais John Plant et ensemble ils présentent de nombreuses performances alliant musique, voix et chant. Nous gardons traces de ses prestations de chanteuse parce qu’elle commence à performer « pour la vidéo » en 1974. Il semble que pour marshalore, jouer pour la vidéo comme d’autres jouent pour la scène lui permette de créer le cadre de ses performances afin de laisser sa marque; la vidéo est une scène qu’elle occupe avec son corps et sa voix. De nombreuses performances sont créées en vue d’être captées par la caméra et composent ainsi des œuvres vidéographiques autonomes qui vont au-delà d’une simple captation. D’autres performances intègrent des éléments vidéographiques captés et diffusés en circuit fermé ou des segments préalablement enregistrés pour leur diffusion durant la prestation. Pour marshalore, l’art de la performance est une série d’actions combinées avec des médias4.

Une page de Hyprofile, février – avril 1980, une publication de Vidéo véhicule. BAnQ, Collection nationale, PER H-148.

You must Remember This est exemplaire quant aux dimensions performatives et narratives propres aux travaux de femmes en vidéo. L’observation de soi et l’endossement de personae que l’on retrouve dans certaines œuvres narratives et de fiction, s’amalgament à la performativité de l’artiste en chanteuse. La voix est au centre de la relation orale d’histoires, de désirs et d’états, ce que Paul Zumthor appelle justement « la performance5 ». Dans les segments en noir et blanc, marshalore entonne des chansons blues ou jazz des années 1930 et 1940 qui parlent d’hommes qui battent les femmes alors qu’elles disent toujours aimer ceux-ci ! Les paroles sont parfois déplorables, mais les chansons sont adorables. Elle les chante avec sa voix chaude et douce, elle a d’ailleurs été chanteuse de cabaret, mentionne-t-elle6. Ainsi cette voix contraste avec ce qu’elle raconte et qui fait état de violences consenties par les femmes dans ces chansons. La voix ici est corporéité et elle signale par son grain la douceur contradictoire de ces chansons surannées. Contrastant avec ces segments noirs et blancs, les sections en couleur montrent l’artiste jouant des personnages — la petite fille disant à plusieurs reprises : « Mother says… » ; la jeune femme qui se maquille en racontant les drames de la vie d’une fille ou d’une jeune femme. Dans une autre séquence où l’artiste fait un jeu de patience, une voix hors-champ raconte l’histoire d’un homme qui se masturbe, une histoire érotique dont le narrateur est un homme, mais la voix qui raconte est celle d’une femme. Est-ce autobiographique ? Est-ce que marshalore nous raconte des histoires lui étant arrivées ? Il est impossible de le savoir même si certains l’affirment7. Une chose est certaine, You Must Remember This cherche à explorer les conditionnements sociaux qui s’appliquent aux femmes. Il y a dans ce vidéogramme une sexualité sombre où les filles, puis les jeunes femmes doivent en quelque sorte se conformer au désir des hommes, thème mainte fois abordé de diverses manières par des artistes féministes. marshalore utilise sa voix en tant qu’instrument comme elle l’affirme elle-même8 et la mascarade qu’elle entreprend dans les segments en couleur, les personae qu’elle revêt lui permettent de mettre en jeu l’image de soi, la présentation de soi. La mascarade est l’une des positions possibles du narcissisme féminin face à l’image. La scène dans laquelle marshalore joue une jeune femme en train de se maquiller représente bien cette mascarade comme excès de féminité ouvrant plusieurs possibilités, que ce soit l’ironie ou la parodie.

  1. 1
    Nous avons choisi d’écrire le pseudonyme marshalore sans majuscule comme on le retrouve dans plusieurs documents de l’époque.
  2. 2
    Pontbriand, Chantal (1983). Three in Performance. Saskatoon : Mendel Art Gallery, p. 22.
  3. 3
    Centerfold, December 1978, pp.36-39.
  4. 4
    Pontbriand, Chantal (1983), Op. cit., p. 17.
  5. 5
    Zumthor, Paul (1983). Introduction à la poésie orale. Paris: Édition du Seuil.
  6. 6
    Pontbriand, Chantal (1983), Op. cit., p.19.
  7. 7
    Comme le catalogue en ligne du Vidéographe.
  8. 8
    Pontbriand, Chantal (1983). Op. cit., p. 21.
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