CinémaUn mois d'août musical
Le cycle que la Cinémathèque québécoise consacre à la musique au cinéma se poursuit tout au long du mois d’août alors qu’une trentaine de projections sont encore au programme. C’est l’occasion pour les cinéphiles de voir sur grand écran quelques films rarement projetés. Voici quelques suggestions pour vous aider à faire vos choix.
Busby Berkeley
D’abord deux films faisant l’éclatante démonstration du talent du cinéaste/chorégraphe Busby Berkeley : Gold Diggers of 1933 (coréalisé avec Mervyn LeRoy) et Footlight Parade (coréalisé avec Lloyd Bacon). Né en 1895, fils de l’actrice Gertrude Berkeley, le jeune Busby Berkeley n’est jamais inscrit à un cours de danse, mais entre plutôt à l’Académie militaire à l’âge de 12 ans. C’est donc dans l’armée, en 1918, qu’il s’initie à la mise en scène : lieutenant d’artillerie, il est alors responsable des parades ! Son sens de la discipline et de l’organisation, s’ajoutant à ses visions artistiques, lui permet de faire ses débuts à Hollywood en 1930 et d’obtenir son premier grand succès en 1933 avec 42nd Street que réalise Lloyd Bacon. Le film fait un tel tabac au box-office que Jack Warner offre à Berkeley un lucratif contrat de cinq ans. La période allant de 1933 à 1937 constitue donc un véritable âge d’or dans la carrière de Berkeley, l’année 1933 ayant un statut tout particulier dans cette période faste.
En effet, en 1933, Berkeley signe les chorégraphies de pas moins de cinq films. Grâce au contrat accordé par Jack Warner, il est non seulement chorégraphe, mais réalisateur des séquences musicales et dansées (c’est-à-dire qu’il détermine les positions et les mouvements de caméra et qu’il supervise le montage). Mais, surtout, en 1933, le code Hays n’est pas encore en application : les numéros de Berkeley ne sont donc pas soumis à l’autocensure morale que les studios ont accepté d’appliquer et qui déterminera la production jusqu’à ce que l’avènement du Nouvel Hollywood en fasse tomber les derniers éléments, autour de 1968. Ainsi, la dernière partie de Footlight Parade se déroule dans une maison close de Shanghai, ce qui n’aurait guère été possible une année plus tard…
Concernant Footlight Parade, je m’en voudrais de ne pas insister sur l’avant-dernier numéro musical du film, intitulé By A Waterfall, qui illustre de manière spectaculaire l’ambition et le talent de Berkeley : on y trouve 300 danseuses/nageuses, le tiers d’entre elles s’ébattant dans une grande piscine de verre, le tout ayant nécessité deux semaines de répétition et six jours de tournage. À elle seule, cette séquence justifie de voir le film sur grand écran !
Quant à Gold Diggers of 1933, c’est le numéro Pettin in the Park qui y est le plus célèbre puisqu’il est truffé d’allusions grivoises (le numéro est curieusement mené par l’acteur nain Bill Barty, qui y joue un bébé très porté sur les jolies filles) et qui se termine lorsque Dick Powell utilise un ouvre-boîte pour ouvrir la robe de métal dont s’est vêtue Ruby Keeler pour se protéger de ses assauts… Une telle scène, éminemment problématique en 2021, n’aurait plus été possible en 1934, avec l’application du code moral.
Rythmes afro-cubains
Les amateurs de musique afro-cubaine seront gâtés avec le programme double du 7 août, alors que la Cinémathèque met au programme Africa Mia d’Edouard Salier et Richard Minier, qui sera suivi du célèbre Buena Vista Social Club de Wim Wenders. Africa Mia est consacré à la renaissance du groupe Las Maravillas de Mali, cinquante ans après que ces dix musiciens maliens aient fait un premier voyage de formation musicale à Cuba. Le parallèle entre ce film de 2019 et celui réalisé par Wenders en 1999 est évident, les deux longs métrages permettant de mettre en lumière un pan à la fois essentiel et oublié de la musique afro-cubaine. Programmé lors de l’édition en ligne du Festival international de cinéma de la ville de Québec en 2020, Africa Mia demeure inédit en salles au Québec.
Buster Keaton en prison
Ce programme de trois courts métrages — The Goat (1921), Convict 13 (1920) et Cops (1922) — marque le grand retour des projections de cinéma muet en musique à la Cinémathèque, après l’interruption causée par la pandémie. Roman Zavada, qui a fait de l’accompagnement des films de Keaton sa spécialité, sera au piano pour l’occasion. Les trois films ici regroupés ont une surprenante unité thématique, alors que Buster est victime de quiproquos et est par conséquent aux prises avec les forces de l’ordre. Si Convict 13 est un film plutôt échevelé, dont les gags pour la plupart très physiques témoignent du caractère athlétique de Keaton, The Goat et Cops comptent parmi les grands courts métrages du cinéaste. Plusieurs ont d’ailleurs vu dans Cops, où Keaton est l’archétype du faux coupable, une référence à l’affaire Fatty Arbuckle qui, la même année, était banni de l’industrie cinématographique à la suite d’une douteuse accusation. On sait en effet qu’Arbuckle était à la fois le mentor et l’ami de Keaton, avec qui il avait partagé la vedette de plusieurs films, dont l’inoubliable Coney Island.
Peter Greenaway
Rarement projeté sur grand écran, A Zed and Two Noughts (zoo) est l’un des sommets de la filmographie de Peter Greenaway et l’œuvre qui a contribué à faire connaître le travail du compositeur Michael Nyman, qui allait par la suite trouvé le succès avec sa partition destinée au long métrage The Piano de Jane Campion.
Flamboyante suite de variations sur les thèmes du double, de la symétrie et de la mort, A Zed and Two Noughts trouve sa place quelque part entre la comédie noire, le message codé pour sémiologue amateur et le film scientifique. Quant à la musique de Nyman, elle se déploie malicieusement en mariant les références à Purcell et à Haendel avec des constructions minimalistes dans l’esprit du travail de Philip Glass. L’ensemble a des allures de spectacle ritualisé, à la fois réjouissant et morbide.
Que Sera, Sera
Certains se sont étonnés de retrouver The Man Who Knew Too Much d’Alfred Hitchcock dans un cycle de films musicaux. Ceux-là ont oublié que c’est au réalisateur de Psycho que l’on doit d’avoir commandé à Jay Livingston et Ray Evans l’une des plus célèbres chansons du XXe siècle, Whatever Will Be, Will Be (Que Sera, Sera), que Doris Day chante d’ailleurs à deux reprises dans le film. Cette chanson vaudra aussi à The Man Who Knew Too Much son seul Oscar ! Pour Doris Day, à qui à l’origine la chanson ne plaisait guère et qui ne souhaitait pas l’endisquer, ce fut un point tournant de sa carrière : elle la chanta même dans deux autres films et celle-ci fut à l’origine du titre de la série télévisée dont elle fut la vedette entre 1968 et 1973.
Mais par-delà cette incontournable ritournelle, The Man Who Knew Too Much se termine par une séquence inoubliable de plus de dix minutes sans dialogue, tournée au Royal Albert Hall de Londres et entièrement construite sur la musique. Cette séquence — l’une des plus célèbres de l’histoire du cinéma — est emblématique de la maîtrise et de la précision du maître anglais.