CinémaAutour de la rétrospective Joyce Wieland
Joyce Wieland a produit une œuvre de cinéma à même hauteur que son parcours artistique singulier et subjectif, pionnière et première cinéaste expérimentale canadienne. Elle est d’abord peintre, tout en gagnant sa vie à Toronto, dans les années 1950, en travaillant dans un studio de films publicitaires où elle se familiarise avec le medium. Son œuvre cinématographique s’en fait l’écho dans les premières années, au même titre que son mari Michael Snow, par une attention inédite accordée aux objets, au monde familier ou inanimé qui apparait sous son objectif.
Le couple Wieland-Snow s’installe à New York City en 1962. Pour près de dix ans leurs films s’inscrivent pleinement dans le courant du cinéma structurel et en ce sens intègrent tout particulièrement la communauté autour de la Filmmakers cooperative. Des films tels que 1933, Rat Life Diet in North America ou encore A and B in Ontario (coréalisé avec l’américain Hollis Frampton), témoignent à leur manière d’un souci formel constant et lié au politique, en phase avec d’autres cinéastes expérimentaux marquants de l’époque (par exemple, les frères Kuchar).
Sa conception du cinéma impose l’assemblage de situations générales (l’état du monde, les mouvements sociaux) à la familiarité du quotidien. C’est en cela que ses films canadiens, après la période new-yorkaise, sont si uniques. Par exemple, lorsqu’elle filme Pierre Vallières (théoricien et militant de l’autodétermination du Québec), l’usage du gros plan ne peut se comprendre comme un seul procédé formel, mais plutôt comme une recherche visant à fusionner un discours politique nationaliste québécois avec le corps même qui articule ce discours. C’est pourquoi le film porte le nom de son locuteur, en semblant entreprendre une quête impossible : matérialiser la source des mots dits de sa bouche. Lorsqu’elle réalise Reason over Passion ou encore The Far Shore, elle exprime une volonté, à chaque fois renouvelée, de mettre en forme et en scène (pour The Far Shore) au cœur de l’intime ce qui constitue un matériau politique vif, résonnant immédiatement dans l’époque où ses films sont faits.
Voici en bonus quelques notes et réflexions sur l’ensemble de cette programmation :
Programme de courts 1 - Lundi 26 septembre, 21 h
L‘entremêlement entre l’intime et le général se développe progressivement dans ces huit premiers courts métrages. En toute logique, les premiers films new yorkais permettent à l’artiste de développer un regard sur son espace immédiat, par un grossissement des détails de la vie courante. Mais cette force d’abstraction est déjà en dialogue avec le dehors, jusqu’à trouver son paroxysme grinçant dans le film 1933 qui associe l’urbanité new yorkaise à une année fatidique où le 20e siècle bascule.
En parallèle à Reason over Passion, Wieland réalise trois courts métrages d’une portée politique inédite au coeur du jeune cinéma expérimental canadien. Pierre Vallières, Solidarity et A and B in Ontario adressent chacun à leurs manières un dispositif formel précis, implacable à un enjeu de la politique canadienne du moment, passant par un questionnement du territoire façonnant l’identité. Le dernier film du programme témoigne d’un retour au cinéma formaliste d’observation des débuts, à un moment où son oeuvre plastique, hors du cinéma, va bientôt occuper toute la place.
Le premier long métrage expérimental politique canadien. La cinéaste propose une traversée en train du Canada où le paysage qui défile s’entremêle aux citations d’un discours de Pierre Eliott Trudeau (premier ministre du Canada, de 1968 à 1984). Reason over Passion est une formule devenue historique, invoquant la raison pour défendre l’unité canadienne dans un contexte où se déploient les mouvements d’autodétermination au Québec, avec les actions du Front de libération du Québec et la montée du Parti Québécois. L’humour sous-jacent à ce film provient de l’absence de point de vue subjectif explicite, au profit de la photogénie d’un paysage peu changeant, monotone comme peut l’être le paysage canadien, la diversité du territoire n’apparaissant qu’au prix d’une traversée d’immenses distances.
Cette fiction semble se poser à l’envers de l’ensemble de la production de Wieland, avant comme après ce film. Pourtant, en regardant de plus proche, nous constatons l’état d’une même question de cinéma, dans le cadre de sa production canadienne, où l’intime et le général se rassemblent. Cette oeuvre que l’on peut qualifier de post-bergmanienne expose une histoire d’amour entre une femme et un homme au tournant du 20e siècle, colorée des enjeux de la confédération canadienne et des tensions éprouvées au long cours entre les communautés anglophones et francophones. Le film est aussi explicitement un hommage à l’approche picturale du groupe des Sept, influent collectif de peintres canadiens des années 1920.