Skip to contentSkip to navigation
Table des matières
L’Acadie, toujours chantante, toujours dansante
Par Barbara Le Blanc
mars 2023

Affiche pour la deuxième série du Son des Français d'Amérique. Graphisme : Michel Fortier.

Pour partager sa joie de vivre en communauté, on peut jouer du violon, turluter, chanter, danser, conter des histoires, réciter des comptines, bavarder dans les accents variés du français, dont l’acadien. C’est l’un des principaux sujets de la série documentaire Le son des Français d’Amérique. Ces films nous permettent de découvrir, de connaître et d’apprécier la variété de traditions artistiques que l’on trouve dans la francophonie.

Ce « cinéma direct » met en valeur des bijoux culturels. On y parle d’une tradition orale, héritée d’ancêtres francophones et transmise d’une génération à l’autre. Dans les films portant sur l’Acadie, des membres de plusieurs communautés acadiennes prennent la parole et partagent avec fierté et joie leurs trésors culturels, dans une ambiance accueillante et chaleureuse. Dans le film Il’ allont-y disparaître, Alexandre Boudreau affirme que son peuple est toujours chantant. D’ailleurs, sa région acadienne de Chéticamp a adopté le slogan : « Toujours chantante ».

Dans les films L‘en premier et Faut pas l’dire, Charlotte Cormier, la folkloriste acadienne du Nouveau-Brunswick, décrit la richesse du « patrimoine immatériel » acadien. Lorsqu’il n’y avait pas de violon durant les fêtes, explique-t-elle, les gens turlutaient des « reels à bouche ». Selon elle, l’esprit festif de ces gens s’expliquerait par le fait qu’ils ont connu une vie tellement chargée de misère qu’ils seraient restés fortement accrochés à leurs traditions et à leur identité. Les premières familles, venues s’installer en Acadie, sont marquées par leur culture française qui, à son tour, a été enrichie sous l’influence du peuple Mi’kmaq. Elle mentionne que les premiers Acadiens sont connus comme « défricheurs d’eau » parce qu’ils savaient ériger des digues (aboiteaux) pour chasser l’eau de mer et gagner du terrain cultivable. Elle parle du traumatisme causé par la Déportation des Acadiens (1755-1763), orchestrée par les autorités britanniques de Boston et d’Halifax. Enfin, Charlotte évoque la question qui en tourmente plusieurs : « Y aura-t-il des francophones en Acadie dans cinquante ans ? » concluant qu’il vaudrait mieux passer le sujet sous silence, d’où le titre du film, Faut pas l’dire.

Épisode : Faut pas l'dire (extrait)

Carte des Maritimes dessiné par André Gladu en préparation au tournage. Découvrez une sélection de ces cartes.

À cause de leur dispersion, provoquée par le Grand Dérangement, et à cause de leurs nombreuses migrations à la recherche d’emplois, plusieurs Acadiens ont fini par se bâtir une vie nouvelle un peu partout en Amérique. Certains se sont réinstallés dans le Nord-Est Atlantique. Le film Johnny à Denis à Alfred, nous présente trois générations de violoneux de la Baie Sainte-Marie en Nouvelle-Écosse. Du grand-père, au père, au fils Comeau, nous voyons là un bel exemple de musique transmise d’une génération à une autre. Dans Le dernier boutte, Émile Benoit, le musicien terre-neuvien aux racines acadiennes, parle de l’amour qu’il a pour son violon et pour la musique : « c’est engravé dans le tchœur ».

Selon certains spécialistes, le tiers de la population québécoise a des origines acadiennes. Dans le film Pitou Boudreault, violoneux, ce descendant d’Acadien fait danser les gens aux coups d’archet de son violon. Enfin, dans le film Réveille (Scott, Louisiane), le Cadien Zachary Richard présente son émouvante chanson Réveille qui raconte l’histoire tragique de son peuple.

Les films portant sur l’Acadie nous enseignent que les Acadiens sont résilients, un peuple fier, créatif, doté d’un grand sens de l’humour et qui aime la fête. Malgré la Déportation, leurs maisons brûlées par des soldats britanniques, leur éparpillement aux quatre coins du monde, leurs terres fertiles données aux colons anglais de la Nouvelle-Angleterre et leur parler acadien dénigré et opprimé, les oppresseurs n’ont pas réussi à éteindre la musique, le chant et la danse. Les films nous montrent que ces traditions se sont maintenues, bien sûr avec des modifications ; les Acadiens se sont frottés à d’autres peuples, à d’autres influences ; il y a eu des échanges, des emprunts, et il s’est opéré un véritable métissage des langues et de la musique.

Il’allont-y disparaître (extrait)

Les films m’ont fait penser à ma jeunesse quand je vivais dans une ville anglaise de la région industrielle du Cap-Breton en Nouvelle-Écosse. Ma famille avait déménagé de la région acadienne de Chéticamp quand j’avais seulement quatre ans ; à l’époque je ne parlais que le français. Dans notre nouveau milieu, tout se passait en anglais, sauf bien sûr à la maison où mes parents et ma grand-mère maternelle me parlaient en français. À cause de l’influence de l’entourage, je répondais souvent en anglais, une scène qui se répétait dans presque toutes les familles acadiennes du coin.

Dans le film Il faut continuer (Poitou, France), nous entendons certains accents que nous retrouvons en Acadie. Selon certains historiens, la moitié des ancêtres acadiens sont venus du Poitou, de la Saintonge et de l’Aunis, anciennes provinces françaises. On nous présente aussi des figures de quadrille, que nous dansons également chez nous. En fait, le quadrille, originaire de France, a migré aux États-Unis et au Québec, puis, en Acadie.

Épisode : Il faut continuer (extrait)

Tournage de l'épisode Johnny à Dennis à Alfred (1975). Photo : André Gladu. Collections personnelles d'André Gladu.

Cependant, je vivais mon parler acadien lors de fêtes tenues au Club Évangéline où à l’Association l’Assomption. J’entendais aussi beaucoup cette langue lors de réunions de famille ou chez des voisins acadiens.

Mes parents avaient la musique, la chanson et la danse dans le corps. Ma mère giguait dans la cuisine quand elle entendait le son de violon à la radio. Elle jouait aussi de la « musique à bouche » ; j’ai toujours son petit instrument de musique dans un tiroir. Mon père « callait » les figures de quadrilles pour les veillés dans les maisons et lors de danses dans les salles publiques. J’ai moi aussi appris à « caller » les danses. Les souvenirs heureux de mon enfance sont associés aux soirées où les gens parlaient avec l’accent de leurs cantons respectifs, jouaient du violon, chantaient et dansaient.

Je crois que c’est grâce à ces joyeux rassemblements que j’ai voulu raviver mon français. En tout cas, c’est certainement cette joie de vivre que j’ai retrouvée dans les films. Faire de la musique, chanter, danser ; quelles manières précieuses de vivre des aspects d’une culture !


Barbara Le Blanc

Crédit photo : Université Sainte-Anne.

Ancienne présidente de la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse et de l’Association des études folkloriques du Canada, Barbara LeBlanc a reçu la médaille Léger-Comeau de la Société nationale de l’Acadie en 2003. Elle a été directrice du lieu historique national de Grand-Pré puis professeure à l’Université Sainte-Anne. Ses études en sciences de l’éducation et en théâtre, sa maîtrise en arts et traditions populaires ainsi que son doctorat en ethnologie, ont nourri ses recherches sur l’Acadie.

Article suivant