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Un pour tous, tous pour un : le chantier documentaire
Par André Gladu
mars 2023

Affiche pour la deuxième série du Son des Français d'Amérique. Graphisme : Michel Fortier.

Le cinéma direct

Le cinéma direct est issu de la tradition documentaire de la Production française de l’Office national du film du Canada. Les auteurs du Son des Français d’Amérique, Michel Brault et André Gladu ont développé, chacun à leur époque, leur apprentissage du cinéma documentaire grâce au contexte créé par l’équipe française. Mise sur pied en 1964, avec l’initiative entre autres de Fernand Dansereau, elle s’inscrit dans la foulée de la Révolution tranquille qui a donné une impulsion sans précédent à l’évolution des arts et de la culture au Québec.

Tournage de l'épisode Le P'tit Canada (1978). Photo : René Daigle. Collections Cinémathèque québécoise. Numéro d'accès : 1995.2106.PH.

L’héritage de Michel Brault

Michel Brault et Jean Rouch à la Cinémathèque québéboise. Photograhe : Alain Gauthier.

Michel Brault, coréalisateur et directeur photo du SFA, est à l’origine de plusieurs avancées majeures du cinéma direct au Québec et à travers le monde. Son esprit audacieux, sa curiosité à l’égard des dernières innovations techniques du 16 mm et des caméras légères, ses liens avec Jean Rouch, pionnier du cinéma-vérité, et sa grande intuition, ont fait de lui un des grands artisans du documentaire contemporain.

Brault a apporté au Son des Français d’Amérique une longue expérience des pratiques du cinéma. Également une grande propension à tirer parti des situations documentaires. Il poussait les limites de la technique et savait aussi se laisser guider par les possibilités de sa caméra et des pellicules sensibles à l’essai1. C’était aussi un adepte de la lumière naturelle. Enfin il incarnait un esprit convivial de collaboration, qui soudait l’équipe et créait un climat de confiance entre nous.

C’est lui qui m’a transmis l’esprit du cinéma direct, l’amour du métier et les conquêtes de notre cinéma sur les plans technologiques et politiques. Il m’a convaincu de la nécessité de s’engager dans les luttes pour la reconnaissance de notre milieu. Il était de toutes les batailles: la création de l’Association des réalisateurs et réalisatrices de films du Québec, la mise sur pied du premier syndicat des techniciens et techniciennes de cinéma, le soutien au Programme français de l’ONF, la survie de la Cinémathèque québécoise, et j’en passe. On lui doit beaucoup à titre de rassembleur des artisans de notre cinématographie.

Je retiens de lui son instinct sûr pour aller chercher l’intelligence et la beauté des images. Son incroyable intuition à appréhender les êtres, à deviner le potentiel d’une situation. Rien ne lui échappait. Il avait un sixième sens pour les choses qui se manifestaient de façon non dite. Il m’a souvent dit : « Je tente de tourner des images indélébiles qui resteront. Pas juste des belles prises de vue pour le cinéma... ».


« Il y a deux façons de concevoir le cinéma du réel : la première est de prétendre donner à voir le réel ; la seconde est de se poser le problème du réel. De même, il y avait deux façons de concevoir le cinéma-vérité. La première était de prétendre apporter la vérité. La seconde était de se poser le problème de la vérité. » - Edgar Morin, MIPE-TV, Lyon 1963 (Michel Brault gardait toujours dans son carnet de notes une copie de cette définition du cinéma direct. Elle fut déterminante pour son approche du cinéma documentaire)


Photo prise par Michel Brault los du tournage de Pour la suite du monde (Pierre Perrault et Michel Brault, 1963). Numéro d'accès : 2005.0765.PH.06.

Copie Zéro, no5, 1979. Dossier sur Michel Brault.

Grâce à son formidable esprit d’équipe et à son approche légère et sentie il nous donnait le sentiment qu’on avait une prise sur la réalité. Notre réalité ! D’abord, celle du Québec et celle de son écosystème culturel : la francophonie nord-américaine. Là-dessus, Michel et moi, nous partagions les mêmes convictions.

Brault croyait profondément à la nécessité de donner la parole et l’image aux personnes et aux populations qui n’ont pas de voix. Une préoccupation profondément démocratique qui n’est peut-être pas étrangère avec une expérience marquante, vécue alors qu’il était enfant. C’est lui-même qui nous l’a racontée.

Un jour à l’école primaire la maîtresse de français demande à sa classe de lui faire le portrait d’un chat. Dans son enthousiasme Michel prend sa feuille de papier et son crayon et dessine un chat. L’institutrice ramasse les réponses de ses élèves et parmi les descriptions de chats découvre son dessin. Elle le brandit devant les enfants en ridiculisant celui qui avait opté d’instinct pour l’image plutôt que pour les mots écrits. Michel racontait : « Tout le monde s’est mis à rire de moi et ça m’a humilié. Quand on m’a offert, plus tard, une autre façon de m’exprimer, j’ai plongé... ».

C’est peut-être à partir de ce moment-là que Michel Brault a décidé de se méfier des écrits et de nous démontrer que, parfois, une image vaut mille mots...

L’équipe du Son des Français d'Amérique

Le tournage d’un film documentaire est un véritable chantier où se rencontrent des compétences différentes qui doivent travailler dans le même sens. Avec les années nous avions mis au point une méthode de travail très efficace qui nous permettait de nous intégrer dans la réalité des gens qu’on filmait. Toute l’équipe de tournage entrait dans une sorte de chorégraphie de l’instant présent. Tous nos gestes nous rapprochaient de la vérité. Un dialogue stimulant prenait forme entre l’équipe de film et les musiciens participants : une jam-session musicale et cinématographique.

Un jour, Brault m’a confié : « André, au tournage tous les mouvements de la caméra, toutes les décisions du preneur de son, toutes tes interventions, doivent converger vers le même but... ».

Partie de hockey des cinéastes québécois contre l'équipe de Poitiers (1979) pour les "Journées cinématographiques de Poitiers". De gauche à droite : André Melançon, Maurice Bulbullian, Monsieur Bourque, Fernand Dansereau, Serge Gagné, Pierre Falardeau, non-identifié, André Gladu, non-identifié, Alain Dostie, Jacques Leduc. Collection personnelle d'André Gladu.

J’avais quant à moi acquis mes premières expériences de documentaire léger avec l’unité de tournage portatif Portapak-Sony du journal Quartier Latin que j’avais mis sur pied entre 1968 et 1970 pour l’Association générale des étudiants de l’Université de Montréal. Avec Le reel du pendu, mon premier film produit par l’ONF en 1972, et l’organisation des premiers festivals de musique traditionnelle avec l’UQAM, j’avais pressenti le potentiel des liens culturels et musicaux entre le Québec, l’Acadie et la Louisiane. Cette compréhension de la mentalité et de la culture des Francophones hors-Québec facilitait la rencontre entre les participants et l’équipe.

André Gladu et Zachary Richard. Présentation d'épisodes de la série à la Cinémathèque québécoise le 31 mars 2022. © Crédit vidéo : Dominique Chartrand.

J’étais responsable de la recherche et du contenu, du choix des personnages-porteurs et des personnes-ressources, du repérage des lieux et des situations documentaires.

Brault assurait la mise en film, avec la direction photo et la coordination des techniciens-artisans et des maisons de postproduction. La gestion de la production était assurée par Nanouk Films en collaboration avec les deux auteurs.

Le preneur de son Claude Beaugrand, qui avait travaillé avec Pierre Perrault, Bernard Gosselin, Sylvie Groulx, Jean-Claude Labrecque et d’autres, s’adaptait à toutes les situations. Il proposait au quart-de-tour des solutions ingénieuses pour rendre justice aux diverses musiques, aux différentes voix, aux témoignages intimistes, aux confidences et était attentif au son ambiant. Andy Chmura, l’assistant-caméraman, était attentif à tout et soutenait Brault dans la résolution des problèmes techniques.

Enfin, André Corriveau était responsable du montage image et son. C’est lui, en consultation avec les auteurs, qui composait les films à partir du matériel tourné. Il apportait une sensibilité et une signature uniques au montage et il faisait ressortir toute la pertinence du propos. Pierre De Lanauze assurait la postproduction avec son équipe à Télémontage. Daniel Arié et les techniciens de Télépoint prendront la relève pour la deuxième partie de la série.

Photo de tournage de l'épisode Les Gens de plaisir (1978). Groupe de chanteurs, Saint-Denis-sur-Richelieu. Photo : Marie Chicoine. Collection personnelle d'André Gladu.

La production du Son des Français d’Amérique s’est faite avec le soutien de Simone Leroux et Anouk Brault de Nanouk Films et avec la collaboration de techniciens-substituts qui partageaient nos motivations. Merci aux autres monteurs : Josée Beaudet, Yves Dion, et aux preneurs de son : Esther Auger, Serge Beauchemin. Également aux différents assistants, Sylvain Brault, René Daigle, Ronald Brault, Suzanne Gabouri, Louis De Ernsted, Jocelyn Simard et Jacques Méthé.

En espérant, vous avoir convaincu que ce métier ne peut se pratiquer sans la coopération des autres. Il perpétue, comme les personnages de Dumas, le fameux adage : « Un pour tous, tous pour un… »

Notes de bas de page

1 Quelques directeurs de laboratoire ou chefs des services techniques (par exemple Conrad Perreault à l’ONF) admiratifs du travail de Brault lui proposaient des nouvelles pellicules récemment arrivées sur le marché pour qu’il en explore les possibilités.


André Gladu

À partir des années 70, André Gladu réalise plusieurs documentaires sur le Québec et les peuples francophones d’Amérique, notamment Le reel du pendu (1971), Le son des Français d’Amérique (1974-1980) coréalisé avec Michel Brault, Marc-Aurèle Fortin (1983), Pellan (1985), Liberty Street Blues (1986) sur le jazz Nouvelle-Orléans, Gaston Miron – les outils du poète (1994). En 1987-88 il conçoit le projet de Musée de l’image en mouvement de la Cinémathèque québécoise. De 1997 à 2002, il est producteur au Studio culture et expérimentation, Programme français, de l’ONF. Par la suite à titre de cinéaste résident il crée : Tintamarre (2004) et Marron (2006). À partir de 2014, il réalise un cycle de courts métrages sur les traditions de Lanaudière : Le chant du monde (2015), Matawinie « La rencontre des eaux » (2016), L’esprit du violon Trad (2018), Excusez-là et L’autre bout du monde (2021). En 2015, il reçoit le Prix Hommages de l’Académie Charles-Cros. Le Prix du Québec Albert-Tessier pour le cinéma lui est décerné en 2018.

Michel Brault

Né en 1928, Michel Brault se consacre d’abord à la photographie. Il se joint à l’Office national du film en tant que caméraman en 1956. Il collaborera notamment à quelques films de la fameuse série Candid Eye, produite par l’équipe anglaise. Il se tourne graduellement vers la réalisation, domaine dans lequel il se distingue, à l’aide d’une caméra portable, avec laquelle il capte le paysage identitaire en mutation du Québec de la Révolution tranquille. Il tourne avec Gilles Groulx et Marcel Carrière le film fondateur Les Raquetteurs en 1958. En 1963, Brault et Pierre Perrault tournent Pour la suite du monde, qui devient le premier classique du cinéma direct québécois. Il réalise aussi le film Les Ordres en 1974. En plus de son travail de réalisateur, Michel Brault aura signé la direction de la photographie d’œuvres phares comme Entre tu et vous (Gilles Groulx, 1969), Mon oncle Antoine (Claude Jutra, 1971), Kamouraska (Claude Jutra, 1973) et Les Bons Débarras (Francis Mankiewicz, 1980). Sa carrière totalisera plus de 200 films, à titre de réalisateur ou de directeur photo.