Année de sortie 1992
Durée 27 min 35 sec
Format 16 mm
Générique accessible ici
Synopsis
Que ce soit en usine ou dans les échelons plus élevés de la fonction publique ou d’une agence de publicité, les femmes se heurtent toujours dans les années 1990 à de nombreux obstacles pour obtenir l'égalité en emploi. Malgré l’égalité de droits, la discrimination persiste : une discrimination systémique parfois difficile à identifier et une résistance sournoise à la présence des femmes, en particulier dans les emplois traditionnellement occupés par les hommes.
Cinq femmes témoignent avec humour et détermination de cette réalité et de leurs stratégies pour obtenir une place équitable sur le marché du travail.
Comme avec « Quel numéro what number? » ou le travail automatisé, c’est ici la force et l’accumulation de témoignages qui véhicule le propos et lui donne une dimension sociale.
Le film a été réalisé en 1992 à la demande de l’Office national du film du Canada dans le cadre d’une série « Femmes et travail » pour le Programme fédéral des femmes, une co-production entre le programme Regards de femmes, créé en 1986 au Programme français de l’ONF, et le Studio D du Programme anglais.
L’égalité en emploi et l’équité salariale demeurent des enjeux clés du mouvement féministe même après les réformes législatives et les mesures adoptées depuis les années 1970 pour contrer la discrimination au travail. Transformer l’égalité de droit en égalité de fait sera un important cheval de bataille dans les années 1990, et malgré les progrès, encore vingt ans plus tard, au moment où j’écris ces lignes.
En tant que réalisatrice, je suis moi-même dans un métier non traditionnel et je reconnais les difficultés partagées dans le film par les participantes et la culture du boys’ club qui sévit. C’est d’ailleurs avec ce film que je travaille, pour la première fois, avec une équipe presque exclusivement féminine, signe que les femmes commencent alors à faire leur place dans les métiers techniques du cinéma. Les réalisatrices indépendantes ont leur propre bataille à mener pour l’équité dans l’attribution des fonds publics pour le cinéma. Elle sera pilotée d’abord par le comité Moitié Moitié (1988-1997) puis par Réalisatrices Équitables à partir de 2007, avec succès. Après des années d’activisme de la part des réalisatrices, les principales institutions de financement public au Québec et au Canada ont annoncé entre 2017 et 2019 des mesures pour atteindre la parité entre hommes et femmes. J’ai une grande place dans mon cœur pour les Réalisatrices Équitables, collectivement et pour chacune d’entre elles, et une fierté personnelle d’y avoir contribué.
À travers les témoignages de cinq travailleuses ayant franchi la frontière des emplois « traditionnellement masculins », le documentaire Le plafond de verre, tourné au début des années 1990, soulève l’enjeu de la déségrégation des emplois à prédominance masculine et féminine. Comme le souligne à juste titre Marie, dans le documentaire, une foule de barrières visibles et moins visibles se dressent devant celles qui souhaitent traverser cette frontière : les recruteurs ne veulent pas rencontrer une candidate (sans avoir à s’en justifier), les exigences sont gonflées artificiellement devant les candidatures féminines, la réception est paternaliste : « Vous savez, c’est dur… il faut des bottes de travail… » ! C’est là le sens du bien nommé plafond de verre. Comme le remarquent Aline et Luce, on essaiera de plusieurs façons d’enfarger celles qui osent s’engager, pour démontrer qu’elles ne peuvent y arriver.
Ce documentaire témoigne d’une préoccupation qui peut sembler lointaine tant l’enjeu de l’abolition de la ségrégation des emplois à prédominance masculine et féminine s’est fait plus discret avec les années. Non pas que les emplois soient en 2020, trente ans plus tard, distribués sans égard aux stéréotypes de genre et à la division sexuelle du travail, mais on s’en émeut moins. En 1996, environ la moitié des femmes actives étaient des employées des services tandis que moins de 1 % d’entre elles occupaient des postes d’employées du bâtiment par exemple 1. Un tel clivage entraîne une concentration excessive des femmes dans un nombre limité d’emplois, moins bien rémunérés et offrant peu de chances d’avancement. Les justifications invoquées pour maintenir cet écart témoignent d’un accablant mépris pour des compétences féminines qu’on disait « naturelles ».
En 1992, le combat pour l’ouverture aux femmes des chasses gardées masculines sur le marché de l’emploi mobilise le mouvement des femmes au Québec depuis déjà deux décennies. En 1976, l’État a adopté la Charte des droits et libertés de la personne du Québec qui reconnaît l’égalité formelle des droits de tous et promeut la mise en place de programmes d’accès à l’égalité (PAÉ) en emploi pour permettre l’embauche privilégiée de personnes de quatre groupes cibles et accélérer leur représentation : les femmes, les autochtones, les minorités dites visibles et les personnes handicapées. On reconnaît l’existence de la discrimination systémique, car ces quatre groupes sont ciblés en raison de la démonstration statistique établie de leur situation désavantageuse sur le marché de l’emploi à long terme.
La résistance des milieux patronaux est grande. On utilise abondamment l’argument de la « discrimination à rebours » selon lequel ces programmes attribuent indument des avantages à des groupes sociodémographiques au détriment du mérite individuel, alors que, dans les faits, il y a l’obligation de favoriser une personne des groupes cibles à condition qu’elle ait une compétence égale. Dès lors, malgré les efforts réels menés dans certains secteurs, l’importance de la lutte pour la mixité en emploi recule au cours des années 90, au profit d’une lutte qui lui apparaît apparentée, soit la lutte pour l’équité salariale qui vise plus spécifiquement la réduction des écarts de revenu entre les hommes et les femmes pour des postes similaires. Rappelons qu’en 1991, le revenu d’emploi moyen annuel des femmes ne représentait que 62 % de celui des hommes 2.
Certes, on avançait volontiers que reconnaître la valeur des emplois dits féminins, et augmenter leur niveau de rémunération, contribuerait à réduire la ségrégation des emplois en y attirant des hommes. On remettait aussi en question l’objectif de la mixité en emploi ; pour améliorer les revenus d’emploi des femmes, était-il nécessaire de changer leurs choix professionnels ? Pourtant, la ségrégation professionnelle est un des facteurs qui expliquent les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes. La victoire sous forme d’une loi coercitive pour l’équité salariale, promulguée en 1996, est considérable étant donnée l’opposition patronale, mais la récolte n’est pas à la mesure des espoirs de déségrégation des emplois.
Car, si en 2019, l’écart dans le taux d’activités des hommes et des femmes n’est plus que de 5 %, et que l’écart salarial en taux horaire moyen entre les hommes et les femmes a également diminué avec les années, se situant à 10,2 % en 2017, il en est tout autrement de la concentration professionnelle des femmes qui demeure toujours beaucoup plus importante que celle des hommes. Selon le bilan d’application de la Loi sur l’équité salariale dressé par le ministère du Travail du Québec en 2019, la liste des 20 principales professions occupées par les femmes a peu changé et certaines professions, telles qu’adjointe administrative, éducatrice à la petite enfance ou préposée aux bénéficiaires, sont encore toujours quasi entièrement féminines.
Si la loi sur l’équité salariale a également le mérite d’avoir réduit les écarts lorsque le niveau de compétence ou de scolarité augmente et mis en évidence les préjugés sexistes et situations genrées qui risquent d’avoir une incidence, elle n’a pas le pouvoir de les faire tous disparaître. Divers problèmes contribuent à bloquer la progression des femmes : temps de travail, réseaux informels, maternité…
Les nouvelles professions et les nouveaux secteurs d’emploi du secteur privé représentent-ils l’avenir ? Des secteurs emblématiques, dits créatifs, ont un effectif particulièrement masculin. Dans les professions des technologies de l’information, 80 % sont des hommes. Les femmes y détiennent des diplômes supérieurs à la moyenne, mais gagnent une rémunération médiane plus faible. Dans l’industrie du jeu vidéo, les femmes ne dépassent pas non plus 20 %, concilient difficilement leur emploi avec la maternité et dénoncent un environnement empreint de sexisme outrancier. Comme nous le rappelle déjà Catherine en 1992, « C’est pas fini ce temps-là ! ».
RÉFÉRENCES
Brière, Sophie (dir.), Les femmes dans les métiers et professions traditionnellement masculins : une réalité teintée de stéréotypes de genre nécessitant une analyse critique, systémique, comparative et multidisciplinaire, Rapport de recherche, Fonds de recherche Société et culture, 2016. http://www.scf.gouv.qc.ca/fileadmin/Documents/Egalite/Rapport-scientifique-femmes-metiers-masculins.PDF#page=16&zoom=auto,-65,205
Dugré, Geneviève, Travailleuses de la construction, Montréal, éditions du Remue-ménage, 2006.
Ehrenreich, Barbara et Arlie Russell Hochschild, Global Woman. Nannies, Maids and Sex Workers in the New Economy, Metropolitan books, 2003.
Ehrenreich, Barbara, Nickel and Dimed : On (Not) Getting by in America, Metropolitan books, 2001.
Jeanes, Emma, David Knights et Patricia Yancey Martin, Handbook of Gender, Work and Organization, Wiley-Blackwell, 2012.
Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Rapport du ministre sur la mise en œuvre de la loi sur l’équité salariale, gouvernement du Québec, 2019. https://www.travail.gouv.qc.ca/fileadmin/fichiers/Documents/equite/rapport_loi_equite_salariale.pdf
Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Un regard additionnel sur la ségrégation professionnelle au Québec, gouvernement du Québec, 2015. http://www.scf.gouv.qc.ca/fileadmin/Documents/Autres/Se__gre__gation_professionnelle_2015-12-22VF.pdf
Powell, Gary N. (dir.), Handbook of Gender and Work, Sage Publications, 1999.
Reskin, Barbara et Irene Padavic, Women and Men at Work, Pine Forge press, 2e edition, 2002.
- 1
Statistique Canada, Moyennes annuelles de la population active - 1996, cat. 71-220-XPB, tableau 13. Pour plus de précision : 7,5 % des femmes travaillent dans les finances, assurances et affaires immobilières, 6,4 % dans l’administration publique et 15,4 % dans le commerce. En revanche, entre 1981 et 1996, moins de 1 % de l’ensemble des femmes actives occupe des postes d’employées du bâtiment, 4 % des postes d’exploitation du transport et 11,3 % des postes dans l’industrie manufacturière. ↩
- 2
Statistique Canada, Gains des hommes et des femmes, catalogue 13-577, hors série, tableau 2 et catalogue 13-217 annuel, tableau 2. ↩