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Table ronde « Vidéo Femmes : Archivage et remédiation », RIDM 2022. Animation : Hubert Sabino-Bunette / Intervenant.e.s : Julia Minne, Lynda Roy, Nicole Giguère, Johanne Fournier, Nicolas Dulac et Marina Gallet / Captation et montage : Pascal Gélinas et Nicole Giguère

Cette table ronde présentée dans le cadre des RIDM en 2022 visait à témoigner d'une expérience collective liée à l’éditorialisation des archives et la mise en récit des premières années du collectif Vidéo Femmes (1973-1993). Sous la forme d’un retour d’expérience, cette intervention aura été l’occasion de discuter du processus de création du présent dossier thématique et d’aborder les questionnements éthiques, techniques et théoriques que soulève la réactivation d’un tel corpus.

L’importance de la transmission

Entretien réalisé avec Nicole Giguère, Helen Doyle, Johanne Fournier et Lynda Roy.

Julia Minne : Quelle importance pour vous aujourd’hui de montrer vos premières productions? Comme tu le mentionnais, Nicole, ce ne sont pas les films les plus aboutis, les plus reconnus, mais pourtant on voit déjà votre audace et l'expression d'un geste féministe artistique assumé.

Nicole Giguère : Tu parles de Chaperons rouges et Une nef… et ses sorcières par exemple ?

JM : Il y en a d’autres que la Cinémathèque a numérisé aussi. Je ne les dissocie pas de votre filmographie. Ces vidéos-là sont aussi importantes que les productions plus récentes.

Lynda Roy : C’est parce que ce sont les premières prises de parole de la vidéo légère qui ont donné naissance à une présence des femmes dans la production vidéo ou cinématographique. C’est comme regarder les premiers pas. Ils traduisent une époque de transformation en plus. Donc, c’est pour ça que c’est si important.

Helen Doyle : Pourquoi les montrer? Moi, je suis en train de travailler sur un autre projet. On est toutes sur autre chose. On continue. C’est parce que tu as programmé ce cycle avec les RIDM au mois de novembre que je réalise : « Ah oui, on a fait ça, nous autres? ». Tu t’aperçois qu’il y a des gens qui réagissent positivement, avec admiration. Mais moi, je continue par en avant. Les anciennes productions, c’est en arrière. Ça a marqué l’histoire. Ça a passé un peu dans le beurre. Peut-être que c’est une douce vengeance aussi de dire : « Vous l’aviez pas vu, qu’on était pas si pire que ça avec rien? ». [Rire]

Hubert Sabino-Brunette, Julia Minne, Nicole Brossard, Helen Doyle, Nathalie Roy, novembre 2022, RIDM. Photographe : Maryse Boyce.

Julia Minne, Tara Chanady, Lise Bonenfant, novembre 2022, RIDM. Photographe : Maryse Boyce.

JM : Je cite Chaperons rouges, parce que c’est celui dont on parlait, mais je pourrais parler d’autres productions. Pour moi, ce sont vraiment des films aboutis. Il y a un champ d’expérimentation assez exceptionnel, tu le sens. Je les élève, ces films-là. Effectivement, je pense que la Cinémathèque et d’autres sont vraiment passés à côté de vos films.

HD : Mais oui! Et on va revenir toujours à : « On était en région, on était des femmes, on était pauvres de moyens. La vidéo, reste que c’est fragile en "titi". C’est pas de la pellicule 16 mm! ».

NG : Non. Ce n’est pas toujours de la qualité. Ça vieillit mal aussi.

HD : Alors, tu as des gens qui viennent, qui sont habitués de regarder des trucs en 8 et 16 mm. Et là, tu arrives avec nos grosses granules en noir et blanc. Isssh! Et des mixages de son faits à la mitaine. Alors quand tu nous annonces que tu veux présenter ces productions à la Cinémathèque, je veux aller sous la table! Il est où, le trou de souris que je rentre dedans, ha! ha! Et à un moment donné, c’est étonnant. Moi-même… On a toutes été surprises de ce qu’on a vu.

Johanne Fournier : Vraiment. Pendant les RIDM, en novembre 2022 à la Cinémathèque, ça a été incroyable, cette programmation-là que tu as organisée, Julia.

HD : La réception aussi. Les gens posaient des questions. Comme à l’époque, mais bien installés, dans des bonnes conditions. Bien mieux que ce qu’on avait dans des cafés. Mais tu te rends compte qu’on n’avait pas de moyens. Je pense à Denys Arcand. Il est en entrevue pour Jésus de Montréal et dit : « Enfin, j’ai pu avoir un avant-plan et un arrière-plan dans un film. J’ai pas juste tourné quelqu’un en deux dimensions. Parce que j’avais des nouveaux budgets ». Moi, là, ça me fait pleurer! Nous, on n’a jamais pensé à des affaires de même. On n’avait pas ça ces moyens-là.

JM : Non, c’est sûr. Et ce que je veux vous dire sur la réception aujourd’hui, c’est qu’il y a un article qui a été publié suite à ce qu’on a fait avec le Centre Simone de Beauvoir à la Cinémathèque en janvier 2023. Ce sont des universitaires de McGill qui ont écrit un article sur ce que vous avez dit en conférence. Ce que je veux dire, c'est que montrer ces films aujourd’hui, ça a un réel impact aujourd’hui même, chez des jeunes étudiantes qui sont intéressées par les mouvements féministes, par le cinéma, qui veulent en savoir sur leur histoire. Il y a une portée significative. Vous avez couvert des choses qui sont toujours d’actualité, en fait. Malheureusement.

JF : Oui, malheureusement. Mais tu sais, c’est maintenant qu’il y a cette reconnaissance-là par une nouvelle génération. Parce que durant un grand, grand bout, on n’existait plus. C’est vraiment grâce à toi, Julia, et ta génération qui découvre tout à coup ces années-là, cette militance-là et cette création-là. Pas juste Vidéo Femmes, dans d’autres secteurs aussi.

NG : Oui, et il y a aussi la plateforme Tënk qui fait découvrir des films plus anciens.

HD : Et Réalisatrices Équitables aussi. Tout ça, ça joue des rôles, je pense.

NG : Oui, parce que les filles veulent voir ce que les autres ont fait avant, d’où ça vient, d’où ça part, et tout.

Hubert Sabino-Brunette, Helen Doyle et Christiane Viens, novembre 2022, RIDM. Photographe : Maryse Boyce.

JM : Oui, dans la réactivation. Il y a ce besoin aussi, je pense, d’un retour aux origines, de se questionner sur l'histoire. C’est encore plus important actuellement d’avoir ces référents-là, je pense, qui font partie de la culture. Je suis aussi admiratives de vous voir toutes soudées. Le regard que je porte sur vous et ce que vous transmettez dans cet entretien, c’est d’avoir toujours été solidement attachées les unes aux autres. C’est rare.

JF : Vraiment. C’est une famille. Comme des familles de tournées, de théâtre, de spectacle. On est une famille.

HD : Et les liens ont perduré pour moi, c’est important. Quand je suis arrivée à Montréal, j’ai travaillé avec Michèle Pérusse. C’était l’autre fille avec qui j’ai beaucoup travaillé, qui m’a encouragée. C’était comme une partner. Elle a été vraiment très importante. Si tu regardes ses œuvres, je pense qu’il y a des choses qui sont très, très chouettes, dont le film sur L’humeur à l’humour, qu’elle à co-réalisé avec Nicole.

NG : Oui, parce que moi, après Vidéo Femmes, en plus de travailler en co-réalisation avec Michèle Pérusse sur L’humeur à l’humour, j’ai aussi travaillé avec toi Helen, comme assistante sur quelques-uns de tes films.

HD : Alors ces liens-là, même si on n’était plus à Vidéo Femmes, ils se sont perpétués dans le temps.

Louise Portal, Nicole Giguère, Lynda Roy, Julia Minne, Johanne Fournier et Sylvie Tremblay, novembre 2022, RIDM. Photographe : Richard Mardens.

Lynda Roy, Sylvie Tremblay, Lise Bonenfant, Marie Fortin, Johanne Fournier et Tara Chanady, novembre 2022, RIDM. Photographe : Maryse Boyce.

Prendre notre place à la Cinémathèque

JM : Dernière question pour vous et après, je vous laisse tranquilles, c'est promis! Après avoir discuté de l’absence de vos images dans le milieu du cinéma, quelle importance aujourd’hui d’être reconnue par la Cinémathèque, d’avoir votre place sur le site de la Cinémathèque?

JF : C’est une trace. Un peu partout, dans l’ensemble de la société, tout à coup on redécouvre l’importance des femmes. Partout, partout, partout. Ah! Cette femme-là est historienne. Ah! Cette historienne, cette scientifique. Alors, ces femmes cinéastes-là, qui tout à coup prennent leur juste place dans l’histoire du cinéma, c’est important. Ça a une valeur.

JM : Même s’ils vous ont ignorées? Pour vous, c’est quand même important d’être là?

HD : Je ne pense pas qu’ils nous regarderaient beaucoup plus si c’était pas de toi, je vais te le dire franchement. Soyons honnêtes! Je pense aussi à Réalisatrices Équitables, tout l’effort que vous faites, avec les cinés-clubs et tout ça. Mais à part de ça… je te dis qu’il faut ramer fort.

JF : C’est vrai!

JM : Oui. Mais ça aurait pu être un rejet de votre part de dire : non, moi, je ne veux pas être là.

HD : Non, pas à ce point-là. Ce serait nous punir aussi, à quelque part.

NG : Ça nous a permis aussi de faire le point, toutes ces rencontres-là et tes questions…

Parce que nous, comme Helen disait, on va d’un film à l’autre. On est occupées. On fait ci, on fait ça. On ne pense pas à ce qu’on a fait il y a 40 ans et comment c’était donc important et comment c’était significatif pour l’époque. Le fait d’y réfléchir, de fouiller dans les articles, de relire, de regarder les photos, de voir tout ça, on réalise qu’il y a plein de sujets qui sont encore d’actualité, et qui peuvent encore être intéressants pour des gens. Je n’aurais pas pensé moi-même dire : « Ah oui, il faudrait que tel vidéo des années 80 soit montré ». Quand on est nous-mêmes dans l’action, ce n’est pas là qu’on prend le recul non plus. On le prend quand on a le temps et quand quelque chose comme ta recherche arrive et nous force à le faire.

LR : Il y a quelque chose dans le don aussi. Moi, ça m’a fait plaisir de revoir les films et les archives. Ça m’a fait plaisir de revoir toutes les filles. Ça m’a fait plaisir de reparler de tout ça. Quand on fait un métier de création, un métier de communication, c’est parce qu’on veut donner, on veut léguer, on veut inscrire. Si quelque chose doit rester, même si comme le disait Helen c’est peu, et bien, c'est quand même important. Et le fait que ça s’inscrive quelque part dans une institution québécoise, ça fait du bien.

NG : C’est une belle conclusion!

Nicole Giguère, Johanne Fournier, Lynda Roy, Helen Doyle et Nathalie Roy (de gauche à droite), novembre 2022, RIDM. Photographe : Adrien Giraud.