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Table des matières
Une caméra à soi, un collectif bien à nous (1980 à 1988) : troisième partie
janvier 2024

L’heure des célébrations : 10 ans déjà !

Programme de l’évènement « La Vidéo Fameuse Fête », 1984. Collection de la Cinémathèque québécoise.

JM : Pour vos dix ans, vous décidez de faire une grande célébration avec La Vidéo Fameuse Fête. Comment avez-vous organisé cet événement?

JF : Entre 1973 et 1984, le festival était itinérant : les premiers festivals étaient dans des salles communautaires, puis dans les locaux de l’ONF qui avait un bureau à Québec à cette époque. En 1984, se construisait, dans la basse ville de Québec, la nouvelle bibliothèque Gabrielle-Roy. Il y avait des grands corridors, des salles, un bel auditorium, et on a voulu investir ce lieu, faire ça en grand. On a décidé de présenter autre chose que des films, d’ajouter des shows, on a demandé à Geneviève Gauvreau de créer une installation dans le long corridor avec des extraits vidéo, on a organisé des ateliers. Le Festival a pris une dimension beaucoup plus imposante en 1984, une expansion qu’on était prêtes à faire et à assumer, et la bibliothèque Gabrielle-Roy est restée notre port d’attache jusqu’à la fin, en 1988.

Cette année-là a été créée la si belle chanson « Les dames aux caméras » : « Les dames aux caméras font du cinéma, le cinéma devrait s’en faire ». Présentée en soirée de fermeture dans le cabaret des Folles Alliées. Ça été une année majeure pour le festival et la couverture de presse en fait foi, tant dans La vie en rose que dans la Gazette des femmes. Le Soleil titrait « La Vidéo fameuse fête, Un succès remarquable ». Il y a eu aussi la présentation de Vidéo Femmes par Vidéo Femmes qui célébrait nos dix ans et que Nicole et Lynda ont réalisé.

LR : On inaugurait l’amphithéâtre et les lieux d’animation, on était le premier groupe qui proposait un évènement. Je me souviens de la performance de Dena Davida, la chorégraphe. C’était assez phénoménal. Dena était la directrice de Tangente et elle est venue faire un spectacle de danse et dans la salle, durant la chorégraphie elle prenait sur son dos un homme et elle le transportait de l’autre côté de la salle, elle en prenait un autre en le portant et allait le reconduire dans un autre endroit, c’était vraiment de la performance qu’on n’avait jamais vue.

NR : On avait inauguré une section où les gens pouvaient regarder des vidéos sur demande avec des écouteurs; je me rappelle avoir une photo de ma sœur Josée qui est en train d’écouter des vidéos.

LR : Tu pouvais te promener dans l’installation montée dans le corridor qui diffusait des extraits de productions de Vidéo Femmes, Tous les jours, tous les jours, tous les jours était le premier. Et à la fin de tout ça, tu pouvais aller dans la salle du fond et demander n’importe quel titre qu’on avait en distribution.

JF : En plus de la performance de Dena Davida, il y avait eu celle de Geneviève Letarte. La Chambre blanche avait aussi présenté des œuvres, on ouvrait à d’autres formes d’art. C’est l’époque aussi : on regroupait et on invitait d’autres femmes à se joindre à nous.

JM : Wow, ça devait être quelque chose de voir tout ça!

Les Folles Alliées en spectacle à la clôture de la Vidéo Fameuse Fête 1984. Lucie Godbout, Jocelyne Corbeil, Christine Boilat , Agnès Maltais et Hélène Bernier (de gauche à droite). Collection personnelle de Lynda Roy.

Lynda Roy et Doris Chase (de gauche à droite) pendant l’événement « Vidéo Fameuse Fête », 1984. Collection personnelle Lynda Roy.

JF : Dans nos productions de Vidéo femmes, c’est l’année où sont lancées C’est une bonne journée, C’est pas parce que c’est un château qu’on est des princesses et Les mots / maux du silence. Et on a invité Doris Chase à venir présenter son film Table for one, mettant en vedette Geraldine Page.

JM : Doris Chase, vous l’aviez rencontrée où?

JF : À New York, dans son appartement.

NG : Au Chelsea Hotel!

LR : On était allées à New York pour rencontrer des artistes. On était allées à The Kitchen, c’était vraiment fantastique.

JM : Pourquoi vous étiez allées à New York, c’était un stage?

NG : C’était pour sélectionner des vidéos pour notre Festival. Moi j’y suis allée plusieurs années avec Johanne, avec Françoise. Dans ce temps-là, il n’y avait pas de fichiers numériques, elles ne pouvaient pas nous envoyer de liens, alors on devait aller sur place pour visionner les oeuvres. C’est surtout des vidéos d’art qu’on ramenait pour notre festival.

HD : Il y avait la même chose avec le groupe de Toronto, avec Lisa Steel, avec Vtape. Ces échanges-là se faisaient comme ça. On allait en France aussi.

JF : Puisqu’on parle de New York, il faut faire une parenthèse sur une année où on est allées à l’Experimental Television Center, à Owego, dans l’État de New York, un centre à l’avant-garde de toute la création de vidéos à ce moment-là. On y a fait un stage d’effets spéciaux et appris plein de choses qui ont servi après, dans des productions de Nicole entre autres.

NG : Pour le clip Je voudrais voir la mer, les danseuses étaient mes deux sœurs et c’est là que j’avais travaillé les danseuses avec les incrustations de poissons, un genre d’effet impossible à faire dans notre salle de montage!

Extrait : « Vidéo Femmes par Vidéo Femmes », Nicole Giguère et Lynda Roy, 1984

Hélène Roy et Nicole Fernandez Ferrer au Centre audiovisuel Simone de Beauvoir à Paris. Collection personnelle de Nicole Giguère.

Nicole Giguère et Lynda Roy à l’Experimental Television Center, Owego NY.

Johanne Fournier, Lise Bonenfant, Louise Giguere, Nicole Giguère, Lynda Roy et Hélène Roy (de gauche à droite), Owego, NY.

LR : Le centre avait accueilli avant nous bien des artistes dont Nam June Paik, considéré comme le père de la vidéo d’art. Je ne me rappelle plus bien comment on a réussi à avoir accès à ce centre, mais c’était génial!

JM : À partir de 1983-1984, le collectif prend une nouvelle forme. Vous passez d’une structure assez libre où chacune expérimente différents secteurs de la production à des équipes de tournage plus structurées dans lesquelles vous occuperez des postes précis. Vous affirmez votre style et développez plusieurs sujets de prédilection.

LR : Oui, je pense que tout le monde a commencé à se spécialiser : scénarisation, éclairage, caméra, prise de son. Chacune est allée plus loin pour approfondir ce qui l’intéressait le plus.

HD : En fait, je dois dire qu’on fonctionnait un peu par couple ou en duo. Moi je travaillais beaucoup avec Nicole, Michèle travaillait avec Madeleine, Johanne travaillait souvent avec Françoise.

LB : Moi, je travaillais beaucoup avec Louise. Elle était à la caméra puis moi j’étais au son, on faisait une équipe en soi. Notre vidéo le plus important a été C’est pas parce que c’est un château qu’on est des princesses sur les femmes en prison. On a donné ce titre parce que la prison de Gomin à Québec était une ancienne maison avec des tourelles, qui ressemblait à un château! Pendant un an, Louise et moi on est d’abord allées présenter des films en prison. On apportait le magnétoscope, la télé et tout. On voulait connaître les filles, et créer un climat de confiance.

JF : Dans ce temps-là, on a déménagé aussi dans des locaux plus grands, au 56 rue Saint-Pierre, dans le Vieux-Port, avec La Bande Vidéo. L’équipe de distribution s’était agrandie, il y avait quatre personnes désormais!

JM : Petite question délicate : comment vous vous en sortiez au niveau des finances à ce moment-là? Dans les années 1985-86.

LR : Il y avait des programmes d’emploi fédéraux et provinciaux qui étaient destinés à la jeunesse, il fallait avoir moins de 35 ans. À cette époque, il n’y avait pas beaucoup de travail pour les jeunes. Ces programmes nous permettaient d’être payées un certain nombre de semaines et d’avoir droit à l’assurance-chômage ensuite. On roulait comme ça, de programme en programme, on n’était pas payées énormément.

Lynda Roy, Françoise Dugré, Louise Giguère, Lise Bonenfant (de gauche à droite), 1983, à la prison Gomin pendant le tournage de C’est pas parce que c’est un château qu’on est des princesses. Collection personnelle de Nicole Giguère.

Extrait : « C’est pas parce que c’est un château qu’on est des princesses », Lise Bonenfant et Louise Giguère, 1983

JM : Quelle était votre rémumération à l'époque?

NR : À peu près 200 dollars par semaine. Puis au niveau de la distribution on avait quand même des salariées. Je pense que ça venait avec des subventions au fonctionnement qu’on avait quand même à chaque année, en particulier du Conseil des arts du Canada.

NG : Pour les productions, on finançait comme on pouvait, mais dans le cas de On fait toutes du showbusiness, j’avais reçu une petite bourse du Conseil des arts du Canada. Puis, pour Histoire infâme, on avait eu l’aide de l’ACIC (Aide au cinéma indépendant du Canada de l’ONF) et on avait pu tourner dans leur grand studio de Côte-de-Liesse à Montréal. Je pense que pour chaque production, on essayait de chercher quelque chose en rapport avec le sujet, plus l’assurance-chômage par périodes.

NR : On avait aussi des collaborations avec des boîtes privées, entre autres qui nous prêtaient gracieusement les tables de montage, mais on devait y aller la nuit quand il n’y avait pas de clients. On a fait des choses comme ça. On s’est débrouillées. On avait aussi nos propres équipements et on a contribué à fonder La Bande Vidéo, qui était la réunion de plusieurs groupes pour partager les équipements.

JM : J’ai un souvenir aussi d’avoir lu dans les archives qu’il y avait un regroupement de la vidéo, je ne me rappelle plus le sigle là, qui faisait souvent des demandes au gouvernement pour que la vidéo soit connue comme un art à part, parce que pour avoir des subventions, c’était souvent le cinéma. La vidéo ne correspondait pas forcément et les budgets étaient répartis de manière inégale. Avez-vous participé à ce genre de revendications?

JF : Oui oui, il y a eu beaucoup de réunions avec les groupes de Montréal, beaucoup de consultations. Il y avait aussi des réunions sur la régionalisation, on dirait qu’on en est encore là, au même point! Il faut encore se battre pour faire reconnaître le documentaire et la production hors Montréal.

Louise Portal dans le studio de l’Office national du Film pendant le tournage du clip Histoire Infâme, Nicole Giguère, 1988. Collection de la Cinémathèque québécoise. 2023.0032.PH.23.

Lettre de Jean-Pierre Laurendeau, coordonateur de l’Alliance du cinéma indépendant, datée de mars 1985. Collection de la Cinémathèque québécoise.

LR : Il y a aussi eu un regroupement pour la reconnaissance des métiers. Quand on tournait en pellicule, il y avait un syndicat qui représentait les techniciens, mais quand on était en vidéo, il n’y avait rien du tout.

JM : Est-ce que finalement il y a eu un syndicat ou ça n’a jamais existé en vidéo?

NG : Maintenant les techniciens vidéo sont dans l’AQTIS, il n’y a plus cette différence-là.

JM : Justement, pour les groupes vidéo et les revendications, est-ce qu’il y avait plus de liens sur ce plan-là avec Montréal, en termes de solidarité pour s’allier ensemble ou c’était encore deux mondes séparés?

JF : Non non, il y en avait beaucoup. Évidemment les réunions se faisaient à Montréal, ou des fois on a délégué des filles qui étaient déjà déménagées à Montréal pour faire le suivi de certains dossiers. Ça correspond à une période où il y a eu un exode de certaines femmes de Vidéo Femmes vers Montréal.

LR : Il y a eu un exode des filles, mais des hommes aussi. Des techniciens de Québec, des comédiens aussi ont déménagé à Montréal.

JF : Il y a toujours eu des mouvements vers Montréal, il y en a encore. Au sein de Vidéo Femmes, les départs ont quand même changé l’écosystème et la dynamique du groupe.

JM : Aujourd’hui, on parle beaucoup du documentaire, qu’il est vraiment sous-évalué. Est-ce que vous avez l’impression que c’était différent à l’époque, qu’on accordait une plus grande place au documentaire ou ça a toujours été un combat de se faire reconnaître dans ce milieu-là?

JF : Il faut souligner la création du festival RIDM en 1997 qui a beaucoup aidé au retour et à la valorisation du documentaire d’auteur.

NG : L’année dernière, il y a eu un regroupement de documentaristes qui ont fait des démarches auprès de la SODEC pour que le budget accordé au documentaire soit augmenté à 15 % de leur aide à la production. Ce pourcentage avait beaucoup baissé durant les dernières années. Et il y a toujours des batailles à faire avec les télédiffuseurs parce qu’il n’y a pas assez de créneaux pour le documentaire. Pour la télé, c’est plus formaté aussi, ils nous imposent des durées. Il faut toujours refaire le montage et des versions différentes quand on fait des ventes télé. Pour Prisons sans barreaux, il y a la version originale qui dure 73 minutes, on a fait la version de 48 minutes pour TV5-Unis.

JM : Justement, il y avait vraiment une différence pour la vidéo dans les années 1980? Des formats télé? Des formats plus amateurs?

NG : Plus ou moins. J’ai vendu Alice au pays des gros nez que j’ai fait sur 10 ans. J’ai commencé avec ma petite caméra. J’ai de tous les formats dedans. Et il est passé à Radio-Canada. Ça dépend. Ils disent qu’il faut tel ou tel équipement, mais maintenant il y a des films qui se font avec les téléphones. Alors!

JM : Oui, tout à fait. C’était juste pour savoir s’il y avait eu cette distinction à l’époque, ou comme une façon de dire : « Nous on ne veut pas de votre film parce que le format, ça ne va pas… ». Comme une excuse quoi!

LB : Mais, quand ils le veulent le film Clara, d’amour et de révolte, c’était 36 minutes, et ils l’ont acheté Radio-Canada, ils ne m’ont rien fait couper, rien. Quand ça fait leur affaire, on s’arrange. J’avais eu un bel article dans le Devoir.

Les Rencontres de films et vidéos de l’Alliance, 1986. Programmation élaborée par Vidéo Femmes. Collection de la Cinémathèque québécoise. PN 1999 A45A4 1986.

Le Festival des filles des vues

Lynda Roy et Hélène Roy (de gauche à droite) dans les bureaux de l'ONF à Québec lors du Festival des Filles des vues, 1982. Collection personnelle de Lynda Roy.

JM : Le festival était aussi un moyen pour vous d’inviter des cinéastes, de diffuser des films de femmes, pouvez-vous me parler de ce moment-là, à partir des dix ans de la Vidéo Fameuse Fête.

JF : Le Festival a d’abord été créé pour présenter les productions des filles de Vidéo Femmes. Ensuite, on a aussi présenté les oeuvres d’autres réalisatrices du Québec, comme Sylvie Groulx, Brigitte Sauriol, Léa Pool. À partir de la Vidéo Fameuse Fête, à chaque année jusqu’en 1988, nous avons invité des cinéastes de pays différents à venir présenter leurs films pendant le festival. Une année, les réalisatrices invitées venaient d’Amérique du Sud; une autre, elles étaient japonaises parce que Nicole et Louise étaient allées présenter plusieurs de nos vidéos au Japon l’année précédente. Il y a eu un réseau extrêmement effervescent sur plusieurs continents.

NR : Notre festival était un lieu de rassemblement incroyable. Plusieurs cinéastes venaient à Québec, elles étaient contentes d’enfin pouvoir se voir et se parler. Aussi, comme très beau souvenir, il y a eu la présence de Sally Potter, la réalisatrice britannique, qui avait animé un atelier qui s’appelait Genius. Les participantes devaient se mettre à deux face à face et on devait dire à l’autre un moment de notre vie où on avait fait preuve de génie.

JM : Pour que nos lecteurs et lectrices comprennent bien, comment était structuré le festival?

JF : Toute l’équipe était mobilisée. Un comité préparatoire réfléchissait à la programmation et à l’allure du festival. Ça dépendait des disponibilités, certaines étaient en production. Le festival revenait vite. Aussitôt fini, il fallait rédiger les rapports aux subventionneurs et presque tout de suite faire les demandes de financement pour l’année d’après, donc déjà connaître la programmation, alors qu’on était encore en train de retourner les cassettes.

LR : J’avais un rôle plus logistique, c’est moi qui faisais les ententes avec la bibliothèque Gabrielle-Roy qui nous accueillait dans l’amphithéâtre et dans les salles adjacentes, je coordonnais l’occupation de l’espace et les techniciens, l’arrivée du matériel, l’installation technique, je m’occupais de ce type de choses-là.Telvibec avec qui nous faisions nos locations ou achats d’équipements de tournage durant l’année nous fournissait souvent de l’équipement gracieusement pour le Festival.

NR : En 1986, j’avais travaillé à la coordination avec Martine Sauvageau, je ne sais pas si vous vous en rappelez, donc quelqu’une de l’extérieur de Vidéo Femmes. Nicole était productrice déléguée, Lynda, responsable technique et tout le reste de l’équipe était nommé sous « collaboration précieuse ».

LG : Moi j’étais rendue avec les Folles Alliées, je n’étais plus à Vidéo Femmes à ce moment-là, mais en tant que public, on attendait le festival, on voulait y aller tous les soirs. Les Folles Alliées préparaient presque toujours un spectacle pour la clôture.

JM : Au niveau du financement, pour monter un tel festival ou inviter des personnes de l’étranger, vous bénéficiez de quelles subventions?

LB : On passait par les Délégations du Québec pour obtenir le financement des billets d’avion des réalisatrices qui venaient de l’extérieur et les transports de films.

Dépliant du Festival des filles des vues, 1985. Collection de la Cinémathèque québécoise.

Lynda Roy, Bella Bérard et Lise Bonenfant (de gauche à droite) lors du tournage de Bella, moucheuse de nature, Lise Bonenfant, 1987. Collection personnelle de Lynda Roy.

NG : On logeait les réalisatrices invitées chez nous.

NR : Hélène Roy en a toujours accueilli plusieurs.

LR : Presque toutes les filles de Vidéo Femmes ont hébergé des réalisatrices invitées.

LB : Tantoo Cardinal est restée chez moi, dans mon hamac!

LR : Il y avait la contribution de la Ville de Québec et il ne faut pas oublier la collaboration de divers ministères, dont le ministère des Relations internationales du Québec qui nous permettait d'aller faire nos appels interurbains dans leur bureau. L’ONF a déménagé dans l’édifice qui abritait la bibliothèque Gabrielle-Roy dans ces années-là, donc on a bénéficié d’un bon soutien technique et logistique. Quand on avait des gros films comme Sonatine de Micheline Lanctôt, par exemple, le distributeur payait des frais de déplacement et de promotion.

JF : [En regardant ses notes] J’ai des chiffres ici. Par exemple, en 1984, l’Institut québécois du cinéma nous avait donné 9000$.

NG : C’est l’ancêtre de la SODEC.

JF : Le ministère des Affaires culturelles du Québec : 8500$. Conseil des arts du Canada, c’est pas écrit. Secrétariat à la condition féminine : 3500$. Ministère des Loisirs, de la Chasse et de la Pêche : 2000$. Il devait y avoir une production en lien avec ce ministère. Lise, c’était quoi déjà?

LB : Bella, moucheuse de nature.

NR : Ma mère mettait tellement d’énergie à faire tout le temps des demandes de subvention. Et elle recommençait à chaque année.

Extrait : « Les Dames aux caméras », Stella Goulet, 1994

Affiche du Festival international de films et vidéos de femmes à Montréal, organisé par le Grope intervention vidéo (G.I.V.). Conception : Diane O’bomsawin, 1985. Collection de la Cinémathèque québécoise. 1988.1906.AF.

LB : Si Hélène n’avait pas été là, on serait pas là. C’est arrivé qu’on n’ait plus une cenne, et soudainement on recevait un peu d’argent. Hélène en mettait de sa poche et je me souviens que je lui disais qu’on allait essayer de la rembourser et elle nous disait de prendre notre temps.

LG : C’est Hélène qui m’a montré l’art des demandes de subvention, où inscrire les chiffres, tout ça. Je me souviens d’être allée en faire chez elle dans sa belle maison.

JF : À un moment, un groupe de femmes de Montréal trouvait qu’on faisait un sacré beau festival et voulait en créer un à Montréal. Elles sont venues nous voir, on leur a donné toutes les informations, comment on travaillait et elles ont créé le Festival international de films et vidéos de femmes de Montréal en 1985. Elles ont eu du financement plus facilement des institutions parce que leur événement était considéré « national » et était compétitif. Nous on était à Québec et, nonobstant le fait qu’on avait des invitées internationales, on était considérées comme un événement « régional ».

HD : Ça nous a complètement coupé l’herbe sous le pied et je ne suis pas sûre qu’elles aient réalisé. Le déjà maigre budget a été séparé entre les deux événements.

JF : Et on a décidé d’arrêter à la onzième édition. Nous étions le plus ancien festival de films de femmes au monde, une première édition avait eu lieu avant celui de Créteil.

Les tournées de diffusion

JM : Durant les années 80, vous avez aussi participé à des événements internationaux... comment vous êtes-vous retrouvées au Japon en 1986?

JF : On avait fait la connaissance de Michael Goldberg, un vidéaste originaire de Montréal qui a travaillé au Conseil des arts du Canada. Il est ensuite parti vivre au Japon et on est toujours restées en contact avec lui.

NG : Michael organisait des présentations de vidéos canadiennes au Japon. Une année, il avait présenté des productions de Vidéo Femmes et un groupe qui distribuait des films de femmes avait montré de l’intérêt pour nous. Elles se sont adressées à la Délégation du Québec à Tokyo et c’est comme ça qu’on a pu être invitées en 1986 pour offrir des ateliers vidéo à des femmes et aussi faire une petite tournée pour présenter plusieurs de nos titres à Tokyo, Kyoto et Hiroshima. Elles avaient choisi douze de nos productions qu’elles avaient traduites en japonais. Je devais y aller avec Helen, mais à la dernière minute Helen n’était pas bien, et j’y suis allée avec Louise qui revenait de Colombie avec Lynda.

Michael Goldberg en studio au Japon avec l’équipe de Vidéo Femmes, 1986. Collection de la Cinémathèque québécoise. 2023.0035.PH.34.

Formation dispensée par Louise Giguère au Japon, 1986. Collection de la Cinémathèque québécoise. 2023.0035.PH.35.

LR : Une réalisatrice colombienne, Clara Riascos de Cine Mujer à Bogota était venue au Québec et avait participé à notre Festival des filles des vues. Éblouie, elle nous a proposé de créer un événement à Bogota. Il restait à trouver le financement pour le voyage, le séjour et pour les versions espagnoles de nos réalisations. Louise et moi suivions des cours d’espagnol et on avait très envie de faire ce projet. Finalement on a trouvé du financement au MRI (ministère des Relations internationales du Québec) pour les billets d’avion et Cine Mujer s’est occupé du financement pour notre séjour à Bogota. On a tout monté sans honoraires.

Les versions espagnoles ont été faites grâce à des amis et connaissances qui ont traduit et prêté leur voix au doublage des productions sélectionnées pour partager une programmation Cine Mujer / Vidéo Femmes présentée à la Cinémathèque de Bogota. Environ deux ans après, en 1988, une productrice de Buenos Aires, Susy Suranyi, a entendu parler de cet évènement-là à Bogota et nous a invitées, Louise et moi, pour organiser une présentation qu’elle voulait élargir à une sélection canadienne de films réalisés par des femmes. Nous avons donc proposé une programmation de cinq jours qui a été diffusée à l’Institut Goethe, avenue Corrientes à Buenos Aires. Le programme incluait neuf films de femmes cinéastes du Studio D de l’ONF, un trio de films de Stella Goulet et dix titres de réalisations de Vidéo Femmes. Une femme monteuse et productrice au Studio D (un studio de production de femmes réalisatrices), Ginny Stikeman, participait avec nous à l’événement. Chaque présentation permettait, tout comme à Bogota, d’avoir un échange avec le public présent. On a également donné un atelier à des femmes journalistes qui se demandaient bien comment on pouvait réussir à faire de la production nous-mêmes. La seule réponse qu’on pouvait donner c’était que nous y croyions, qu’on pouvait mieux le faire en étant un collectif et que la vidéo légère a favorisé nos premiers pas dans ce domaine.

NG : C’est toujours des contacts qui se faisaient un peu au hasard ou des relations organiques par connaissances communes qui nous invitaient et qu’on invitait, ce n’était pas des relations planifiées, on n’a pas investi le Japon de façon préméditée! On répondait soit à des demandes ou ça arrivait par personnes interposées.

Cassette U-matic du voyage de Vidéo Femmes au Japon (première partie). Collection de la Cinémathèque québécoise. ID161898.

Extrait : Vidéo Femmes au Japon, 1986

NG : Les Japonaises avaient traduit nos productions, mais quand on est arrivées, il leur restait Une nef... et ses sorcières à faire. On avait filmé les comédiens et comédiennes qui faisaient le doublage de nos films. C’était assez surréaliste!

HD : En France il y avait un petit groupe à Nantes, avec deux Catherine qui nous ont invitées quelques fois. On ne sait pas où sont rendues ces filles-là parce qu’elles n’étaient pas subventionnées, un peu comme nous au début. Il y avait des choses comme ça qui naissaient et qui ont disparu, qui rentraient dans le circuit pendant un, deux, trois ans et qu’on perdait de vue. Et puis, bien sûr, il y a la collaboration avec le Festival international de films de femmes de Créteil au fil des années.

NR : Ces années-là, on a aussi organisé des tournées au Québec. On avait divisé les équipes : moi j’étais dans celle qui avait fait le Bas-du-Fleuve, la Gaspésie, la Vallée de la Matapédia, une autre était allée au Saguenay, on avait vraiment couvert plusieurs régions.

Affiche de l’événement « Mirada Mujer » en mai 1988 à Buenos Aires. Collection personnelle de Lynda Roy.

Lynda Roy, Louise Giguère et Clara Riascos (de gauche à droite) à Medellin, Colombie, en novembre 1986, lors du tournage d’une manifestation d’employées domestiques. Collection personnelle de Lynda Roy.

Johanne Fournier et Françoise Dugré en tournée à travers le Québec dans les années 1980. Collection personnelle de Nicole Giguère.

LB : On est allées en Abitibi aussi, à Rouyn-Noranda

NR : On avait vraiment fait tout le Québec en organisant des projections, des discussions. C’était pour se faire connaître, agrandir notre réseau de distribution.

LB : Avec des petites affiches qu’on mettait sur les poteaux le soir.

JF : Pour pouvoir organiser ça, il fallait donc trouver un contact dans une ville ou une région, quelqu’un qui connaissait les groupes autour, qui pouvait nous indiquer quelles salles on pouvait louer ou trouver gratuitement pour faire les projections, qui pouvait nous mettre en contact avec les médias locaux. Il y avait une organisation rigoureuse avant, les courriels n’existaient pas, ça se passait par téléphone, par lettres, par fax. Et on partait avec les magnétoscopes, un gros et un magnétoscope de soutien au cas où le premier sauterait, alors c’était lourd. On embarquait les boîtes de vidéos dans les autos, les catalogues et les affiches. Je me souviens d’une présentation à Matane d’un film français sur l’avortement dont j’ai oublié le titre, et il avait eu des réactions négatives dans la salle.

JM : C’était pas Regarde, elle a les yeux grand ouverts?

JF : Je pense que oui!

NR : Quel bon film et quelle belle affiche.

Comme un désir de fiction...

JF : Dans les années 1983-84, on avait le désir de faire de l’expérimentation formelle. Françoise Dugré et moi, on a d’abord fait un court film expérimental C’est une bonne journée, qui était vraiment un film d’atmosphère. C’était un court-métrage d’une dizaine de minutes.

« C’est une bonne journée, j’ai mis ma moustache, ma bouche d’asphalte ». C’était un peu triste. Il y avait des séquences dans un bain. Et ce film-là a circulé dans beaucoup de festivals dont Vidéo 84, qui était organisé par Andrée Duchaine. Il y avait une vidéo d’Helen aussi. Par la suite, Françoise est déménagée au Bic, et moi je viens de cette région-là. Alors on a correspondu, on s’envoyait des livres de Marguerite Duras et toutes sortes de lecture. Elle avait quelques contrats avec Radio-Québec Rimouski, où il y avait de l’équipement et une salle de montage.

On s’est dit « Est-ce qu’on essaie de faire une fiction? ». On a scénarisé Le sourire d’une parfumeuse qu’on a tourné en partie à Québec et en partie dans le Bas-du-Fleuve. C’était quand même assez costaud. C’est Nicole qui faisait la direction photo et Pierre Pelletier, les éclairages. Il y a une séquence au défunt cinéma Cinéplex Odéon à Québec, avec une trentaine de figurantes qui circulent dans les toilettes des femmes, parce que le personnage était une parfumeuse qui travaillait dans les toilettes pour femmes. Il y avait des séquences à la gare de Lévis, avec le train et toute la fumée. Parce que la fille s’en allait au Bic pour accompagner sa mère dans ses derniers instants. La parfumeuse, c’était Marie Aubut, qui avait joué dans Tous les jours, tous les jours, tous les jours, et qui est devenue par la suite la chanteuse Marie Carmen. Et Sylvie Tremblay a composé de magnifiques chansons pour ce film.

Affiche du film Le sourire d’une parfumeuse, Françoise Dugré et Johanne Fournier, 1986. Collection personnelle de Johanne Fournier.

Extrait : « C’est une bonne journée », Françoise Dugré et Johanne Fournier, 1984
Extrait : « Le sourire d’une parfumeuse », Françoise Dugré et Johanne Fournier, 1986

Françoise Dugré et Johanne Fournier (gauche à droite) en tournage pour le film Le sourire d’une parfumeuse, 1986. Collection personnelle de Johanne Fournier.

LR : Je me souviens d'une séquence du film, Le sourire d’une parfumeuse dans les toilettes du Clarendon à Québec. C’était somptueux.

JF : Ça été une belle expérience de fiction. Le film a été lancé dans le Festival des filles des vues de Vidéo Femmes en 1986. Il y avait eu un article dans le journal Le Soleil où le journaliste était impressionné par la grande qualité de cette fiction! On a fait le montage à Rimouski, à Radio-Québec. Mais il se disait extrêmement surpris que le personnage principal porte des talons hauts. Un film féministe produit par Vidéo Femmes, les talons hauts, c’était étonnant.

JM : C’est drôle!

JF : Le film a circulé, a été de la sélection des œuvres canadiennes à l’ouverture du Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa. On en a reparlé il n’y a pas si longtemps, Françoise et moi. On est contentes de ce film-là, de l’avoir fait. Après, on aurait pu continuer, il y avait un désir, mais Françoise était au Bic, et moi j’ai eu des ennuis de santé. Il y a eu un temps d’arrêt dans mon cas, et donc on n’en a pas refait, mais on aurait pu.

J’ai toujours alterné entre mes projets personnels et des contrats de montage. J’aimais travailler sur les projets des autres parce qu’il y avait juste le désir de faire le meilleur film possible, de montrer la meilleure séquence possible, une sorte de distance qui n’existe pas autant quand on travaille sur nos propres images ou scénarios. Ça m’a beaucoup servi par la suite.

JM : Pourquoi avez-vous choisi de faire une fiction pour couvrir un tel sujet?

JF : C’était un désir de fiction. Après avoir fait C’est une bonne journée, il y avait ce désir d’aller dans l’imaginaire, dans la construction d’images, dans cette sorte d’écriture-là, de se mesurer à ça. Avant d’être derrière la caméra, j’étais actrice pendant un certain nombre d’années. Et ma mère venait de mourir. J’avais envie de parler de cela. Il y avait nos lectures, il y avait cette ambition de créer des atmosphères et cette poésie-là d’être à la fois au Bic et à Québec.

Marie Aubut, Nicole Giguère, Pierre Pelletier et André Mailly (de gauche à droite) pendant le tournage de Le sourire d’une parfumeuse, 1986. Collection personnelle de Johanne Fournier.

Je filmerai pour elles : « On fait toutes du showbusiness » (1984)

Affiche du film On fait toutes du showbusiness de Nicole Giguère, 1984. Collection de la Cinémathèque québécoise. 2010.0061.AF.

JM : Côté réalisation, on voit que vous expérimentez beaucoup de choses. Je pense à toi Nicole par exemple, tu as réalisé plusieurs productions autour de chanteuses québécoises, n’est-ce pas ?

NG : Tout à fait, j’ai commencé avec le film On fait toutes du showbusiness en 1983-84 sur les rockeuses québécoises. Le tournage s’est étendu sur plus d’un an parce qu’on attendait que les artistes viennent à Québec, on n’avait évidemment pas les moyens d’aller courir après elles dans les autres ville! Il y a juste Nanette Workman qu’on était allées filmer sous un chapiteau quelque part dans le Bas-du-Fleuve. Sinon, on attendait qu’elles viennent au Festival d’été de Québec ou dans des spectacles comme ça pour aller les filmer donc, le tournage s’est étalé sur une longue période, de 1983 à 1984.

Sylvie Tremblay faisait déjà partie de nos collaboratrices, depuis C’est pas le pays des merveilles en 1980. Nous sommes devenues amies. Sa carrière allait très bien, elle faisait beaucoup de spectacles; j’ai commencé à la suivre et à la filmer. Je l’ai beaucoup filmée dans plusieurs endroits, j’ai gardé tout ça d’ailleurs. J’avais déjà l’idée de faire quelque chose sur les musiciennes, les chanteuses de rock, je collectionnais les clips. Il y avait très peu de femmes auteures-compositrices et, grâce à Sylvie, j’en ai connu quelques-unes. Aussi parce que j’ai travaillé au Service des loisirs de la ville de Québec pendant deux étés où j’organisais des spectacles, c’est moi qui passais les contrats, donc j’ai connu beaucoup d’artistes. Il n’y avait pas beaucoup de femmes et on se demandait comment celles qui étaient là se débrouillaient dans un milieu d’hommes.

JM : Comment avez-vous choisi les groupes et les chanteuses ? Parce que, il y a à la fois des artistes comme Marjo, Diane Dufresne, Belgazou ou encore Louise Portal, mais aussi des groupes comme Blue Oil et Wonderbrass, comment avez-vous approché toutes ces personnalités ?

NG : On cherchait des vedettes, ça c’était normal, Marjo, Nanette etc… Mais on cherchait aussi des groupes de filles. Il n’y en avait pas tellement et elles étaient peu connues. Il y avait les Wonder Brass à Montréal, qui s’appelaient comme ça parce qu’il y avait beaucoup de saxophones, d’instruments à vent dans le groupe. Blue Oil, c’était trois filles, vraiment des rockeuses qui se produisaient dans les bars.

JM : Oui tout à fait, puis c’est une autre vie artistique, c’est ça qui est génial. Comme on n’a pas beaucoup de traces de ces groupes, t’as vraiment capté des choses inédites, qu’aujourd’hui on se dit, wow, c’est fou d’avoir ça !

Nicole Giguère à la caméra et Johanne Fournier au son sur le tournage de On fait toutes du showbusiness, 1984. Collection personnelle de Nicole Giguère.

Extrait : « On fait toutes du showbusiness », Nicole Giguère, 1984

NG : Je voulais aussi avoir Diane Dufresne, qui vivait alors à Paris, et qui boudait les médias québécois après quelques mésaventures ici. Lise et Louise s’en allaient en France pour présenter quelques vidéos, je leur avais donné la mission de chercher, de trouver et de filmer Diane Dufresne! On n’avait pas de contacts, seulement un numéro de téléphone ou deux de personnes qui pouvaient éventuellement la connaître.

LB : C’était un défi extraordinaire! Et avant même de commencer les recherches, je l’ai rencontrée sur la rue à Paris, par hasard! Je n’en croyais pas mes yeux. Je me suis approchée et elle reculait. Je lui ai dit que je l’appellerais et elle m’a dit qu’elle acceptait parce que j’étais une rockeuse. On se pinçait, les filles à Paris! On a trouvé de l’équipement, monté une petite équipe et on est allées la filmer!

LB : Louise Giguère était à la caméra, Martine Sauvageau faisait le son, on avait accroché un micro, moi je faisais l’entrevue, on avait acheté une bouteille de champagne et on avait mis des roses. Quand je suis allée la chercher en taxi et qu’elle s’est assise à côté de moi, j’aurais pu mourir là! C’était mon idole!

NG : Quand je suis allée vous attendre à l’aéroport, t’es arrivée avec la cassette!

LB : Mission accomplie! Je brandissais la cassette! Je vais me souvenir de ce moment toute ma vie!

Extrait : « Vidéo Femmes par Vidéo Femmes », Nicole Giguère et Lynda Roy, 1984

Lynda Roy à la caméra (en arrière-plan), Nicole Giguère à la réalisation et Johanne Fournier au son sur le tournage de On fait toutes du showbusiness, 1984. Collection personnelle de Nicole Giguère.

NG : Sinon les autres tournages se sont principalement faits à Québec, au Festival d’été, entre autres. Je me souviens du spectacle de Marjo avec le groupe Corbeau… Lynda, tu dois t’en souvenir aussi, parce qu’on tournait à deux caméras. On était juste devant les barrières de sécurité, dans la zone VIP. La foule poussait poussait... Et il y avait plein de motards qui nous versaient de la bière dessus, on sentait bon quand on est sorties de là! [rire]

LR : C’était assez électrisant!

JM : Moi, je pense que j’ai une photo où on voit Nicole à la caméra puis Johanne allongée avec une cigarette…

JF : Vraiment relax! C'était pendant les répétitions du groupe Blue Oil.

[rires de toutes]

NG : J’ai fait le montage de On fait toutes du showbusiness, Sylvie est venue quelques fois, on a enregistré des liens avec des textes qu’elle a écrit avec sa sœur. Et on a ensuite vendu le film à Radio-Canada, il a été diffusé aux Beaux Dimanches, la grande émission culturelle du dimanche soir. Ça aussi c’était une primeur pour Vidéo Femmes! Pour la diffusion télé, il a donc fallu payer les droits des chansons, les droits pour les musiciens et artistes. On avait engagé Régine Tremblay à ce moment-là qui avait travaillé là-dessus, et nous avons beaucoup voyagé avec le film.

ST : On est allées à New York, à Paris, à Rimouski...

NG : On a fait plusieurs émissions de radio et même de télé ensemble pour présenter le vidéo.

ST : J’adorerais qu’il y ait une suite, ce serait merveilleux. Elles sont toutes vivantes! J’ai vu récemment la belle Louise Portal, Diane Dufresne, Nanette, Marjo elles sont toutes vivantes!

LB : Nicole, si tu fais une suite, je contacte Diane Dufresne! [rire]

Audrey Nantel-Gagnon, Julie Gagnon (Calamine), Marie-Martine Bédard, Louise Portal, Nicole Giguère, Lynda Roy, Johanne Fournier, Sylvie Tremblay, Julia Minne, Hubert Brunette-Sabino (de gauche à droite) lors de la projection du film On fait toutes du showbusiness le 23 novembre 2022 à la Cinémathèque québécoise, dans le cadre du festival RIDM. Crédit photo : Richard Mardens.

Extrait : « Je voudrais voir la mer », Nicole Giguère, 1986

NG : Quand on a vendu On fait toutes du show business à Radio-Canada, on avait eu un bon montant. Après avoir payé tous les droits d’auteur nécessaires, il restait un peu de sous et on les a utilisés pour tourner un clip pour Sylvie Tremblay sur la chanson Je voudrais voir la mer, qui était très populaire à cette époque.

JM : Pouvez-vous me dire quelques mots à propos du tournage?

NG : On a tourné plusieurs scènes avec Sylvie dans toutes sortes de lieux à Québec : le Vieux Port, le traversier, l’Aquarium, le resto tournant du Concorde. On a filmé aussi mes deux sœurs qui dansaient, habillées en blanc pour pouvoir incruster des images sur elles au montage.

ST : Élaine Hamel avait fait un beau maquillage d’hippocampe dans mon dos.

NG : Nos collaborateurs Alain Dupras et Pierre Pelletier étaient là, en plus de plusieurs membres de Vidéo Femmes. C’était une grosse équipe par rapport à d’autres tournages comme On fait toutes du show business où on était trois! J’ai tourné ensuite un autre clip, ou plutôt un film musical, sur la chanson Histoire infâme de Louise Portal.

J'avais rencontré Louise Portal en tournant On fait toutes du show business. Elle était comédienne, mais aussi chanteuse à cette époque-là. Un jour elle m’a contactée pour me dire : « J’ai une chanson, "Histoire Infâme", qui fait neuf minutes et j’aimerais ça faire un clip ». Les compagnies de disques ne faisaient pas des clips aussi longs. C'est une chanson qui parle de l’histoire des femmes, c’était pas nécessairement vendeur! Et elle me dit : « Vidéo Femmes, est-ce que vous seriez intéressées de faire quelque chose avec ça? ». J’ai trouvé que c’était une bonne idée et avec Johanne, on s’est mises à la scénarisation. Puis, ça été aussi l’occasion de chercher plein d’archives sur l’histoire des femmes. On a financé cette production comme un court-métrage musical et non comme un clip et on a fait le tournage dans le grand studio de l’ONF à Montréal qui était un super studio à cette époque-là.

Tournage du vidéoclip Histoire infâme. Louise Portal, Alain Dupras et Pierre Pelletier à la caméra. Photographe : Louise Giguère. Collection de la Cinémathèque québécoise. 2023.0032.PH.48.

Louise Portal sur le tournage d’Histoire infâme, 1987. Photographie : Louise Giguère. Collection de la Cinémathèque québécoise. 2023.0032.PH.21.

LR : Avec un fond vert pour faire de la surimpression d’images (Chroma key). C’était la première fois qu’on faisait ça.

NG : Oui c’est ça. Tout un décor aussi qu’on avait monté là. On a tourné en 16 mm, mais l’idée c’était de faire le montage en vidéo pour profiter des effets spéciaux qu’on ne pouvait pas faire en film. On a donc transféré le film, le montage s’est fait en vidéo. Mais on voulait le retransférer en film 35 mm pour pouvoir le diffuser plus largement. Parce qu’à cette époque, les vidéos n’étaient pas diffusés dans les cinémas ou dans les festivals de films. Finalement, on a fait faire des tests à l’ONF, et aussi dans une boîte réputée à New York, et puis au Japon, où on avait des contacts depuis notre tournée en 1986. C’est au Japon qu’on a eu le meilleur résultat, et c’est eux qui ont finalement fait notre transfert en 35 mm.

C’est pour ça que Histoire infâme a pu être projeté dans les cinémas, en première partie de films. Il a aussi été présenté au Festival International de Films de Femmes en France, où il avait eu une mention spéciale et présenté en ouverture des Rendez-vous du cinéma québécois cette année-là.

JM : Le clip a été salué pour ses effets et ses explorations formelles d’ailleurs.

NG : Le clip est aussi passé par le Festival de Banff. C’est Marcel Jean qui m’a raconté qu’il était sur le jury et que le film a gagné le Prix Québec-Alberta.

JM : Après la sortie de On fait toutes du showbusiness, Je voudrais voir la mer et Histoire infâme ; as-tu continué ton parcours dans le domaine musical?

NG : J’ai aussi réalisé Les femmes me touchent sur une chanson de Jocelyne Corbeil des Folles Alliées, mon dernier clip avec Vidéo Femmes. J’ai fait par la suite de nombreuses émissions musicales à Musique Plus où j’ai travaillé en arrivant à Montréal.

Extrait : « Les femmes me touchent », Nicole Giguère, 1989

L'équipe du film réunie sur le plateau de tournage du clip Histoire infâme (Nicole Giguère, 1987). Collection de la Cinémathèque québécoise. 2023.0032.PH.82.

L’exode vers Montréal

JM : Je voudrais maintenant vous parler de cet exode vers Montréal à partir des années 1986-87. Comment avez-vous vécu les départs de certaines de vos membres?

JF : Ces années-là, Helen, Michèle, Nicole et Louise ont déménagé à Montréal. Nathalie est partie, Lucie aussi. Françoise était déjà au Bic. Il y a comme eu un exode.

LB : Un exode! J’ai été abandonnée! [rire]

JF : Lynda et moi, on était là! [rire]

LB : Mais vous êtes parties aussi, plus tard, et moi je suis restée jusqu’à la fin! Jusqu’à la fusion avec Spirafilm en 2015.

JF : Moi je suis partie en 1997.

NG : Je suis déménagée à Montréal en 1986, mais j’ai quand même fait plusieurs productions avec Vidéo Femmes par la suite : Histoire infâme en 1988, c’est une production de Vidéo Femmes et aussi Alice au pays des gros nez, en 2003.

LR : Ça a été difficile parce qu’évidemment il y avait plus de choses qui se passaient à Montréal qu’à Québec. La distribution s’est beaucoup développée quand même. Moi je ne pouvais pas quitter sans transmettre et former une relève en production! Alors j’ai monté un projet de Laboratoire vidéo tenu sur 8 mois en 1997-1998; j’ai eu beaucoup de support, à la fois des filles de Vidéo Femmes, mais aussi de tout le milieu du cinéma et vidéo. On nous a prêté gracieusement ou loué à bas prix caméras, micros, perches, éclairage, même les salles pour offrir l’atelier ainsi que les équipements de montage. J’ai réalisé ce projet-là pour qu’il y ait des nouvelles recrues à Vidéo Femmes, mais aussi pour que des filles se professionnalisent plus rapidement que nous. On n’avait eu de l’aide de très peu de personnes pour grandir en vidéo, on avait tout appris par nous-mêmes, et je voulais que les nouvelles ne commencent pas à zéro comme nous, qu’elles aillent plus loin et plus vite.

Une partie de l’équipe de Vidéo Femmes dans les escaliers du Musée de la Civilisation à Québec. En partant du haut à gauche : Johanne Fournier, Michèle Pérusse, Louise Giguère, Lynda Roy, Hélène Roy, Nicole Giguère et Lise Bonenfant (vers 1988). Photo de Louise Bilodeau. Collection personnelle de Nicole Giguère.

Lynda Roy à la caméra durant le tournage du film Tous les jours, tous les jours, tous les jours, 1982. Collection personnelle de Lynda Roy.

NR : Moi, je suis partie en 1986. Je me suis inscrite en cinéma à Concordia. C’était surtout l’appel de la grande ville. Je suis arrivée à Vidéo Femmes, j’avais 20 ans. Je suis partie à 25 ans. Ça a été cinq années charnières, fondatrices. Et je vous aime toutes! J'aimais Montréal pour le côté cosmopolite, c’était une ouverture vers le monde. Pour moi, rester à Québec, c’était trop me restreindre à ce moment-là, même si ça voulait dire quitter Vidéo Femmes. Après mes études, je suis allée rejoindre l’équipe du Vidéographe, ça a été cinq belles années aussi, fin 1980, début 1990.

JF : Mais en même temps, le lien avec Vidéo Femmes n’a jamais été coupé. Il y a eu beaucoup de collaborations, des productions, entre autres la série Vidéotour pour Télé-Québec après la fin du festival. Il y avait vraiment un lien Québec-Montréal. La preuve, nous sommes toutes là, encore, après tous ces éloignements et tout ce temps. C’est sûr qu’à l’interne, dans les locaux, ça a fait un grand vide.

JM : Comment vous êtes-vous restructurées ?

JF : De la première équipe, il restait Lynda, Lise et moi, avec plusieurs nouvelles personnes à la distribution. Mais de l’équipe du début, c’est nous trois qui restions. Avec Hélène Roy, bien sûr! Ça dispersait les équipes pour soutenir le festival aussi. Le dernier festival, celui de 1988, c’est Lise et moi qui l’avons coordonné. Ça été notre plus gros, deux mille cinq cents personnes l’ont fréquenté. La soirée d’ouverture s’est faite au Cinéplex Odéon avec des courts métrages. On ne l’avait pas dit à personne que c’était le dernier et après le film de fermeture, on s’est avancées sur la scène toutes les deux et on l’a annoncé : « Il n’y aura pas de 12e Festival des filles des vues ». Le Soleil titrait le lendemain : « La fin des Filles des vues jette la consternation ».

Ici, j’ai un article de la Gazette des femmes [elle lit le titre et un extrait de l’article] : « Un festival juste pour pleurer » de Marie-Thérèse Bournival, publié en septembre-octobre 1988. C’est avec un énorme regret que l’on voit s’éteindre ce festival. Les filles de Vidéo Femmes qui portaient cet évènement à bout de bras ont décidé de donner leur énergie à la production, à la réalisation, à la diffusion, plutôt que de s’acharner à convaincre différents organismes gouvernementaux de la nécessité de subventionner leur festival. [Elle accentue sa lecture] « On ne réclamait pas que ce soit facile, disent Lise Bonenfant et Johanne Fournier, on voulait juste que ce soit possible. À chaque année on s’est brûlées pour préparer le festival, on le faisait parce qu’on y croyait, mais là c’est fini, on joue plus. Le plus ancien Festival de films et de vidéos de femmes au monde tire sa révérence ».

LB : Oh... c’était tellement beau le dernier soir! Il y avait Christine Boilat (la pianiste des Folles Alliées), qui était au piano, et on était toutes autour, puis on chantait les chansons qui étaient dans nos films.

JM : Quelle a été la réaction du public? De celles et ceux qui venaient au festival? Des réactions émotives, j’imagine.

JF : Mais, oui!

LB : Le départ des filles et la fin du festival a créé un vide dans la ville de Québec. Une page s’est tournée, un chapitre même.

Les Folles Alliées en spectacle à la clôture de la Vidéo Fameuse Fête, 1984. Agnès Maltais, Lucie Godbout, Jocelyne Corbeil et Hélène Bernier (de gauche à droite).

Quelques mots encore...

Dépliant promotionnel issu d’un répertoire de Vidéo Femmes dans les années 1980. Collection personnelle de Nicole Giguère.

JM : Est-ce que vous voulez dire un mot de conclusion pour cette période-là? Ces années 80 représentent pour vous, je pense, une période extrêmement charnière, avec à la fois beaucoup de réussites et d’accomplissements.

NG : Ce sont les années où on a fait le plus de productions. On était une bonne équipe, une grosse équipe qui travaillait de façon presque permanente.

LR : Des années d’affirmation, de professionnalisation, des années excitantes et prolifiques.

LB : Moi, je trouve qu’on était très audacieuses. On fonçait, même si on ne savait pas toujours où on s’en allait, on fonçait! On était ensemble. La force du groupe, c’est important. Seule, c’est dur, mais ensemble…

NR : Pour moi, c’était ça aussi, la force de l’équipe, du collectif. Je voyais beaucoup aussi les associations, comme Lise travaillait beaucoup avec Louise, j’avais l’impression que Nicole et Johanne vous étiez aussi une bonne équipe. Chacune avait des talents : Nicole, tu assurais un leadership, Johanne, tu avais toujours un œil incroyable, de la créativité, Lynda, l’organisation, puis tu touchais à plusieurs productions. Je me rappellerai toujours des réunions autour de la table, c’était fou de voir ça, comment ça roulait bien, c’était dynamique, on fonçait. Puis comme a dit Lise, Vidéo Femmes, c’était audacieux.

Danielle Martineau, Nicole Giguère, Johanne Fournier, Nathalie Roy, Lise Bonenfant et Lucie Godbout (de gauche à droite). Photo prise dans le port de Québec, près des locaux du 56, rue Saint-Pierre, dans les années 1980. Collection personnelle de Nicole Giguère.