Nous avons demandé à Rajendra Roy, programmateur en chef du MoMA (The Celeste Bartos Chef Curator of Film), de nous envoyer un court texte sur son appréciation du cinéma de Bruce LaBruce. Voici ce qu’il nous écrivait en début d’année 2022 :
En 2015, Thomas Beard et moi-même avions organisé au MoMA une rétrospective consacrée au singulier Bruce LaBruce. Voici ce que nous écrivions à son sujet à l’époque : « Propulsé dans le demi-monde du cinéma punk underground dès son premier long métrage, No Skin Off My Ass, LaBruce a rapidement démontré que, tout en étant prêt à explorer les zones incertaines et risquées d’un cinéma marginal, il était en réalité le rejeton sacrilège d’un certain cinéma d’art et essai auteuriste. De Robert Altman à Federico Fellini et Werner Herzog, LaBruce fait imploser les canons sacrés, il les révolutionne à travers ses propres récits et leur approche positive de la sexualité gaie. » Nous notions également que « (sa) touche caractéristique d’une souveraineté queer des plus fertiles a engendré une génération de cinéastes sauvages (et de spectateurs voraces…) ».
Sept ans plus tard, il relève de l’évidence que Bruce a su dépasser les sphères d’influence de ses précurseurs, tandis que son propre ascendant sur les faiseurs d’images milléniaux (queers ou non, amateurs ou professionnels) n’a cessé de gagner en ampleur. Ses films les plus récents lui ont permis de se frotter au théâtre d’avant-garde, au mélodrame éclatant ou encore (quoi ?!) à l’art discret de la nuance; tout cela avec une même assurance, celle d’un créateur au sommet de son art.
Par ailleurs, Bruce est indéniablement une sorte de prophète. Depuis ses débuts en tant que cinéaste et photographe, sa façon aussi visionnaire que constante de marier politique révolutionnaire et sexualité hardcore est devenue de nos jours une pratique qui semble pour ainsi dire courante – tout individu doté d’une caméra et d’une connexion internet peut désormais se muer en pornographe libre et indépendant ! S’il existait une pilule qui permette de prolonger la vie, je l’avalerais sans hésiter, ne serait-ce que pour voir en action le bébé-Bruce cloné qui finira inévitablement par mener le Canada (ainsi que les miettes des États-Désunis d’Amérique) dans un glorieux futur post-absolument-tout. Mais d’ici là, je me satisferai très bien de naviguer sur les eaux luxuriantes de son art…
Rajendra Roy
Traduit de l’anglais par Apolline Caron-Ottavi