Skip to contentSkip to navigation

CinémaMaya Deren, le cinéma en transe

Apolline Caron-Ottavi
5 août 2022
Maya Deren, le cinéma en transe

Dans le cadre de notre cycle d’été Les incontournables, nous vous proposons de redécouvrir deux œuvres de Maya Deren : le premier et le dernier film d’une femme qui a su s’imposer comme une figure majeure du cinéma d’avant-garde américain.

Meshes of the Afternoon de Maya Deren

De Meshes in the Afternoon, le premier court métrage de Maya Deren à son dernier film, Divine Horsemen, documentaire sur le vaudou tourné en Haïti, un motif traverse toute l’œuvre de la cinéaste : celui de la transe, à la fois inspiration et aboutissement de son travail, faisant écho à son intérêt pour l’expressivité de la danse et les méandres de l’intériorité comme pour l’expérimentation cinématographique.

Née à Kiev en 1917 et émigrée aux États-Unis lors de sa petite enfance, sa famille ayant fui les pogroms en Ukraine, Maya Deren était la fille d’un psychiatre, Solomon Derenkowsky. Comme elle le mentionnera elle-même, la pratique de son père, qui avait notamment recours à l’hypnose, nourrira sa réflexion sur la subjectivité, la psyché, la possession, la sortie de soi… Dans sa jeunesse, elle se consacre aussi bien à la poésie et à la photographie qu’au journalisme et à l’activisme politique. Sa personnalité magnétique, son militantisme artistique et intellectuel et son style étonnamment moderne se démarquent à New York puis à Los Angeles, villes où elle fait des rencontres décisives.

À New York, elle découvre le travail de la chorégraphe et danseuse afro-américaine Katherine Dunham et devient son assistante. Grâce aux recherches universitaires de celle-ci, Deren plonge dans l’ethnographie et l’univers des danses rituelles haïtiennes et du vaudou, s’intéressant en particulier à la transe. À Los Angeles, elle rencontre et épouse Alexander Hammid, cinéaste d’avant-garde d’origine tchèque. À ses côtés, elle se passionne pour le cinéma en tant qu’art spécifique, capable d’engendrer une expérience à part entière. En 1943, Deren et Hammid coréalisent Meshes in the Afternoon, œuvre qui va en quelque sorte donner le coup d’envoi de l’avant-garde américaine d’après-guerre.

Deren connaît l’avant-garde européenne des années 1920-1930 (elle va même côtoyer certains artistes, filmant par exemple le dadaïste Marcel Duchamp dans The Witch’s Cradle, son deuxième film) mais elle prendra toujours ses distances avec l’influence surréaliste. Si certains motifs structurels et visuels de Meshes rappellent inévitablement les films de Luis Buñuel, Germaine Dulac, Jean Cocteau ou Man Ray, d’autres éléments l’y opposent. La logique du rêve par exemple, loin d’être la revendication d’un mode aléatoire libérateur (comme dans Un chien andalou), devient au contraire l’occasion d’une exploration introspective du psychisme parfois oppressante.

Cette retranscription onirique d’un état d’esprit passe par une spirale visuelle et narrative qui évoque le rituel et la transe, déstabilisant le caractère plus figé de la symbolique psychanalytique présente dans le film. Les corps se meuvent avec fluidité et grâce mais se heurtent à des espaces ambigus et instables. À la structure labyrinthique des lieux et du montage répondent les méandres de l’esprit : les personnages sont dédoublés, leur identité morcelée dans des miroirs brisés. Du travail sur les répétitions et les variations découle un sentiment d’inquiétude et d’incertitude, qui résonne avec la forte subjectivité féminine du film tout en étant indissociable du contexte de l’immédiat après-guerre…

Meshes of the Afternoon de Maya Deren

Meshes obtint le Grand Prix du film d’avant-garde en 16 mm au Festival de Cannes en 1947. Cette reconnaissance fit de Deren la première cinéaste à recevoir une bourse du Guggenheim, ce qui lui permit de financer ses voyages en Haïti. Tout en poursuivant son parcours de cinéaste expérimentale, elle effectue au fil des années plusieurs séjours pour filmer les rituels vaudous qui l’ont toujours fascinée et inspirée pour leur façon de croiser corps et intériorité. Cette fois, le cinéma se met au service de la transe qu’il capte plutôt que de tenter de la recréer par ses artifices.

Loin de se contenter de documenter les rituels en observatrice extérieure, Deren s’est elle-même mise à pratiquer le vaudou, ce qui a permis son immersion hors normes en tant qu’Occidentale tout en contribuant parfois à l’aura entourant sa personne (Stan Brakhage racontera notamment l’avoir vue soulever sans effort un frigo dans un moment de colère). Le livre que Deren a tiré de ses voyages, Divine Horsemen: The Living Gods of Haiti, publié en 1953, a donné son titre et sa trame au film que nous présentons : les kilomètres de pellicule filmés par la cinéaste en Haïti seront montés de façon posthume par Teiji Ito (son dernier mari, qui a également composé a posteriori la musique de Meshes) et Cherel Ito, une vingtaine d’années après la mort de Deren, à 44 ans seulement.

Le 19 mai 2024
Johnny Guitar
Du 1er juillet au 31 août 2022 | Ce programme rassemble près de 80 des films les plus marquants de l’histoire du cinéma, produits entre 1916 et 1960. Consultez le cycle complet dès maintenant!